J’ai vu ce soir le visage grimaçant qui m’inquiétait, enfant, parce qu’il était celui entrevu, de loin, de ma clandestinité, ou fantasmé et redouté par moi, pendant la guerre ou après quand venaient à mes oreilles les récits pourtant très rares de celles et ceux qui avaient échappé aux milices de Vichy et/ou aux hordes hitlériennes, ou plus tard encore les images du cinéma qui racontaient cette guerre. Ce sourire sardonique, ces simagrées parfois doucereuses, souvent déchainées, la vulgarité des invectives, la grossièreté des interpellations, avec le ton mielleux de circonstance, ces expressions caricaturales vues ce soir me poursuivront longtemps. A l’époque le plus souvent dans cette obscurité il n’y avait pas de sourire, certes, sauf dans des conversations entre collabos qui se croyaient tout permis, mais plutôt le mufle hideux de la force de destruction sans loi ni limite, et la jouissance sadique de ceux qui la détenaient.
J’ai entendu ce soir la voix grasseyante, parfois provocante, souvent allusive, toujours mensongère avec laquelle la radio de « l’État Français », collaborationniste, répandait ses contrevérités, ses menaces et ses dénonciations dans les années noires. La pratique délibérée, méthodique, illimitée des insinuations, des ricanements, des invectives, des éructations, ce soir, me rappelle le Radio Paris de l’occupation et aussi, heureusement, le message de Londres: « Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ». Aujourd’hui la République française est la plus proche alliée de la République fédérale d’Allemagne et les forces réactionnaires et stupidement nationalistes du Front National entrent en guerre contre cette alliance. Encore une fois ils n’ont rien compris et rêvent furieusement d’un monde à l’envers.
Mais ce soir il y avait plus: à la télévision la candidate du passé et de la honte devait faire bonne figure, ou du moins essayer. D’où les sourires forcés, la pose attentive, les chapelets de phrases bien préparées, apprises et débitées avec l’aide des fiches. Mais la pulsion rattrapait très vite ces velléités de contrôle et les attaques fusaient, tous azimuts, sans rapport évident avec le sujet traité, les agressions personnelles réitérées permettant d’esquiver les demandes de précision sur un éventuel programme. Une réthorique de la haine: peu importe la vérité, il s’agit de jeter le trouble et la confusion. Dans le regard parfois une flamme (pas une lumière) apparaissait, dès qu’il était question de migrants et d’islam. S’épanouissait alors, comme libéré, le terrible sourire de la haine du procureur qui réclame la condamnation ou du bourreau qui l’exécute. Et bien sur de programmer, avec le sourire avenant d’un mirador, la construction de 40 000 places de prison. Dans ces moments transparaissait le spectacle d’une excitation maladive, la transpiration de la violence et le plaisir assumé de la destruction.
En cette nuit remontent les souvenirs, les mauvais souvenirs que, depuis toujours, je m’efforce d’éloigner. Il faut vivre devant. Mais précisément les souvenirs infiltrent les avenirs. Et si par malheur, par « négligence » ou par « inadvertance » la famille Le Pen et sa clique de vichystes, collabos plus sadiques que leurs maitres à l’époque, accèdent au pouvoir dimanche? N’oublions pas Trump, n’oublions pas le « Brexit ». Et ils sont déjà plus de 8 millions, un quart des suffrages (en comptant le ralliement d’un candidat se prétendant gaulliste). L’extrême droite revancharde attend ce moment depuis trois quart de siècle.
À celles et ceux qui croient de bonne ou grande politique de pratiquer le ni ni, de mettre sur un même plan un candidat républicain et cette monstruosité de l’histoire qui refait surface, ou qui ne souhaitent pas se déplacer, ou décident de déposer un bulletin pour le candidat « nul » ou le candidat « blanc » je dis : réveillez vous tant qu’il est temps encore, les héritiers du fascisme frappent à la porte et s’ils entrent, ils ne laisseront jamais la place. Ne soyons pas les complices de l’assasinat de la liberté et de la vérité.
Je vous parle avec mon histoire, ma lucidité, ma volonté et d’abord avec mon coeur.