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Hommage à Marc Babonneau

Une flamme s’est éteinte, une flamme olympienne et nous voici réunis, dans cette église, à Cambiac la tant aimée, tous affligés, tous pleins de gratitude à l’égard de l’homme d’exception qui s’en est allé. Nous sommes ensemble certes pour accompagner Marc, mon frère de cœur, vers les ailleurs, mais surtout, surtout pour célébrer une vie et maintenir ce qu’il nous a transmis : l’amour indéfectible des siens, le culte de la beauté, la passion immodérée de toutes les cultures, la pratique éminente de la psychanalyse, le gout des voyages, souvent lointains. En tout il incarnait naturellement l’élégance dans ses pensées, ses émotions, sa relation aux autres, dans la vie quotidienne, en parfait « gentleman ». Aujourd’hui ma réflexion et mes émotions sont inspirées par une simple évidence : aussi longtemps que nous garderons Marc en chacun de nous il ne sera pas mort. Marc vivra dans l’amour et le souvenir que tous nous protégerons en notre cœur.

 

À Marie -Thérèse, à Elsa et Adrien, à Louis et Charles, à Geneviève : il ne m’appartient pas de dire quel époux, père, grand père, frère il fut dans le soin, la tendresse, la présence, l’autorité parfois ; et l’humour toujours présent. Vous l’avez vécu et vous continuerez de l’éprouver dans vos souvenirs, éternellement, car pour sa famille aussi il est un homme qui n’a cessé de transmettre. Un exemple et parfois un silence, par pudeur ou pour protéger, ne pas vous inquiéter avec sa  santé défaillante.

 

Marc et Marie Thérèse sont des toxicomanes de la culture, de toutes les cultures : ils dévorent les livres, des grands classiques aux nouveautés de qualité, courent les musées de par le monde, fréquentent assidument les salles de cinéma et les théâtres, visitent les cathédrales et les monuments historiques. Chez eux de magnifiques collections entretiennent ce sentiment de la beauté qui est leur souffle naturel, mais nécessaire.

 

Marc exerça la psychanalyse comme un artiste, au plus près des inconscients, le sien comme celui des patients, s’appuyant sur les mythologies, les tragiques grecs ou Shakespeare plus que sur les querelles picrocholines entre les tenants de telle ou telle théorie. Il utilisait la psychanalyse comme un outil précieux pour aider les patients à trouver- ou retrouver- leurs meilleurs fonctionnements et se refusait à les utiliser pour valider telle ou telle hypothèse alors en débat. Il nous arrivait, dans le respect absolu de l’éthique psychanalytique, d’évoquer tel cas connu de nous deux. J’étais toujours frappé par la lucidité de son écoute et de son interprétation, la rigueur de son élaboration théorique et les références littéraires qui illustraient et éclairaient la situation.

 

L’Esprit des Lumières et l’universalisme habitaient Marc ; cette référence et sa dévorante curiosité le conduisirent à chercher les beautés du monde et des genres humains partout sur cette terre qu’il parcourut en grand voyageur, tout aussi érudit qu’infatigable. En citoyen du monde il voulait tout connaitre de ses beautés, en humaniste il cultivait l’anthropologie des cultures si diverses.

 

 

 

Après cet hommage officiel si sincère je dois laisser parler mon cœur : le dialogue entre Marc et moi a été ininterrompu depuis un demi- siècle et singulièrement ces derniers temps quand la camarde est venue frapper à la porte. La tragédie révèle la vérité des êtres et le malheur qui l’a atteint a donné à nos échanges une profondeur et une vérité nouvelles. Grace à ses mots, soigneusement choisis et parfois retenus, j’ai pris la mesure d’un homme de courage, de persévérance, de responsabilité (il devait protéger les siens, même ses amis, même moi, du pronostic fatal), un homme de solitude voulue et d’altitude naturelle. Une seule fois il m’avoua, il y a quelques semaines, après de nouvelles péripéties médicales : « Je suis sceptique sur l’issue mais je l’accepte ». Quel aveu, quel cadeau, quel partage fraternel ! Quelques minutes plus tard, tout naturellement, il prenait des nouvelles des miens, de mes lectures. La vie continuait, cela devait être ainsi. Cet homme si bon s’infligeait à lui-même les exigences d’un caractère d’acier. Cet homme, si bienveillant avec les autres, s’enfermait dans le désert de son ultime parcours. L’esthète romantique était aussi un soldat, impavidus in proelio. Un soldat dans son âme et aussi un tendre facilement ému par les siens qu’il chérissait, ou par un arbre, une fleur, une sculpture, une musique. Nul ne pouvait prétendre à la connaissance de son intimité, farouchement protégée.  Je ne sais donc pas clairement la relation qu’il entretenait avec sa propre disparition, tant il était soucieux de ne pas créer d’inquiétude à ses proches.

 

 

 

Mais je sais toutefois ceci, au risque de vous surprendre, voire de vous heurter : il est bon que ce martyre ait trouvé sa fin, pour un homme lucide qui a pu ainsi mourir vivant plutôt que de vivre mort interminablement dans la machinerie de l’obstination médicale. Marc n’a pas oublié les vers de son poète aimé , Baudelaire : « Ô Mort, vieux capitaine, il est temps, levons l’ancre ». Si il est souhaitable d’ajouter de la vie au temps, il me parait intempestif de prolonger dans le temps une vie qui n’est plus la vie.

 

Face au malheur qui accable cette famille amie, je ne vous ferai pas offense en disant ma peine profonde d’avoir perdu celui qui, au long des si nombreuses décennies fut successivement un élève brillant, un collègue apprécié, un ami incomparable et surtout un intime confident, un frère de cœur, je n’en connais point d’autre.

 

Face à Thanatos aujourd’hui si présent nous sommes, toutes et tous, les porteurs de l’espérance d’Éros soutenu par nos souvenirs et notre gratitude.

 

 

 

Cher Marc, tu es pour nous immortel et j’achève cette prière  laïque et fraternelle en citant notre poète incomparable, Victor Hugo :

 

 

 « Tu n’es plus là où tu étais,

Mais tu es toujours là où je suis »

 

 

 

Pin Balma

Ce 5 janvier 2023                                          Henri SZTULMAN

La République Française

Il s’agit bien de cela: la France est millénaire, la République plus que bicentenaire. Elles sont en danger si l’extreme droite, par malheur ou par défaillance des électeurs parvenait au pouvoir. Ces gens là, l’histoire nous l’a appris et je l’ai déjà écrit dans ce bloc notes, quand ils prennent le pouvoir ils ne le rendent pas. L’histoire, mais aussi la géographie si tragiquement présente ces jours ci: il suffit de regarder autour de nous, en Europe et sur les cinq continents, pour dénombrer les dictatures et les démocratures qui se perpétuent, voire se transmettent en famille.

La France est mécontente, voire colérique. C’est. naturellement son droit, mais est-ce bien raisonnable? « Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console » dit la maxime. La France est une République, gouvernée démocratiquement, qui offre à ses citoyens des services de santé, d’éducation, de culture, d’équipements divers que tant d’autres nous envient. Rien n’est parfait, bien entendu, beaucoup reste à accomplir mais nous ne sommes pas les plus défavorisés, tant s’en faut.

Il y a, dans notre pays, malmené ces dernières années par les crises, une sorte de passion triste, un désir autodestructeur du pire, qui la tire vers les extrêmes. Il faut raison garder et réfléchir rationnellement:

1° La République doit être maintenue, confortée dans ses valeurs, son esprit, héritage des Lumières et de la Révolution: les droits de l’homme, l’amour de la liberté, la solidarité avec les déshérités, l’accueil fraternel des victimes des dictatures et des spasmes de la planète.

2° La France occupe une position particulière dans le monde: elle est un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, une des très rares puissances nucléaires, situation qui lui confère des responsabilités particulières dans les affaires du monde. Depuis la naissance de l’Europe elle exerce, avec l’Allemagne, un véritable leadership.

3° Elle doit donc être présidée par une personnalité compétente dans de multiples domaines, dotée d’un fort caractère, sensible à l’humain, une figure de proue qui nous représente et nous fasse respecter.

4° Si nous voulons éviter de tomber dans la servitude volontaire  (La Boétie) il n’y a pas de place pour les votes de témoignage ou l’abstention, jeux dangereux voire ordaliques.

 

Pour moi, qui suis né avant la guerre, qui ai vécu tant de drames mondiaux, j’estime que seul Emmanuel Macron possède à la fois la compétence , l’expérience et le caractère.

 

UKRAINE

QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE CONFLIT EN COURS : INVASION DE L’UKRAINE

Le jeudi 24 février 2022, 22 heures

1° Sur le plan historique

De Pierre le Grand à Nicolas II, de Lénine à Staline puis à Poutine (avec la notable parenthèse de Gorbatchev), donc des tsars impériaux aux dictateurs autocrates, la grande Russie a toujours poursuivi deux grands objectifs :

-l’accès aux ports pour sa flotte :
le golfe de Finlande au nord, la Mer d’Azov et la Mer Noire au sud, l’Océan Pacifique à l’Est. De nombreux conflits ont scandé ces conquêtes : avec les suédois et les pays baltes au nord, l’empire ottoman et la Crimée au sud, iles Sakhaline et pays asiatiques à l’est.

-le maintien d’un glacis de protection terrestre en Europe centrale :

La dissolution de l’URSS, vécue comme une humiliation, n’a jamais été acceptée par le Kremlin . D’où les annexions successives d’une partie de la Géorgie (Ossétie du sud et Abkhasie), de l’Ukraine (la Crimée) dès que les dirigeants de ces pays manifestèrent des velléités de tourner leurs regards vers l’Occident. L’histoire se répète avec le Dombass (grand comme deux fois la Belgique) où deux provinces, Donetks et Louhansk, largement russophones, s’autoproclament indépendantes. La Fédération de Russie, après des simulacres et des mensonges pseudo diplomatiques, l’envahit et les reconnait comme telles. Je ne sais, à cette heure, jusqu’où ira l’opération en cours mais d’ores et déjà il s’agit d’une violation des règles régissant les relations entre états, je nomme cela un crime commis par un autocrate, gouvernant solitaire, et terrorisant tous les dignitaires qui l’entourent au sommet de l’état (séquence télévisée de leur « consultation » imposée, inoubliable ).

Précision essentielle sur tout ce qui précède : expliquer n’est pas excuser, comprendre n’est pas justifier.

2° Sur la signification profonde

Mais l’histoire ne fait pas que se répéter, elle bégaye aussi : tous ces conflits n’ont pas que des racines historiques et géographiques, ils opposent aussi, peut -être surtout, deux visions du monde et de gouvernance : d’un coté les démocraties, le moins mauvais système institutionnel, et de l’autres les dictatures et leurs sous -produits: démocraties illibérales, démocratures. Ce dont Poutine a le plus peur est la contagion démocratique, lui qui, au pouvoir depuis le début des années 2000, a aménagé un système le maintenant au sommet jusqu’en 2036 (il aurait alors 84 ans). La Russie, si grandes soient sa culture et ses réalisations dans tous les domaines (histoire, littératures, musiques, arts plastiques, engagement décisif dans la deuxième guerre mondiale), a toujours nourri un complexe d’infériorité envers l’ouest de l’Europe, parfois dissimulé par des manifestations de prestance et de supériorité (l’espace, aujourd’hui le cyber espace, guerres coloniales) et aussi par d’authentiques et glorieuses démonstrations (l’héroïque seconde guerre mondiale, après la traîtrise du pacte germano- soviétique- il s’agissait chaque fois de protéger l’union soviétique et le communisme dictatorial en se rapprochant du vainqueur probable-). Mais la peur demeure, chez ce tsar autoproclamé, comme chez ses prédécesseurs de l’empire soviétique, eux- mêmes successeurs des lignées royales tsaristes où les meurtres, coups d’état étaient l’ordinaire de l’histoire.

La différence entre les démocraties (quelles que soient leurs faiblesses), et les régimes totalitaires, qu’ils soient héréditaires ou autocratiques, réside en ceci, si essentiel: dans les démocraties, le peuple choisit ses dirigeants par le scrutin universel( il lui arrive de faire des choix tragiques: Hitler, Mussolini, Pétain, Salazar, Trump, Bolsonaro, Erdogan, Orban …)Mais il est le Maître et, tôt ou tard, il rectifie ses erreurs dès lors que la démocratie est rétablie, serait- ce par la révolution. Les démocraties ne se limitent pas au suffrage universel parfois dénaturé par des techniques de fraudes et de tricherie. Elles se définissent aussi par la séparation des pouvoirs (éxécutif, législatif, judiciaire..), la liberté de réunion et celle de déplacement, et tant d’autres si bien définies par notre Déclaration des Droits de l’Homme.

Dans les régimes tyranniques, le despote est toujours à la merci d’un coup d’état, d’un changement de rapport de forces, de l’ambition d’un lieutenant. Il se méfie donc, vit dans le soupçon, l’inquiétude, l’interprétation paranoïaque du lendemain. Cette hypervigilance le conduit à des réactions répressives, souvent aveugles face à des manifestations de masse, parfois très sophistiquées avec les armes de surveillance technologique (par exemple la reconnaissance faciale, ou le cyber espionnage), parfois violentes avec l’usage des armes.

Cette attitude mentale, qui a partie liée avec la paranoïa, s’étend au-delà de la sphère du premier cercle et implique la planète entière, dès que le dictateur redoute que son espace de gouvernement, et donc son pouvoir soient menacés. La porte est alors ouverte à des réactions disproportionnées, paradoxales, dangereuses, qui traduisent la panique d’un pouvoir usé incapable de prendre la mesure de ce que l’avenir ne lui appartient plus.

Le vendredi 25 février 2O22,16 heures

Le doute n’est plus permis : Poutine envahit l’Ukraine et pas seulement le Dombass, il veut un pays et un gouvernement à sa botte, un président fantoche qui exécute servilement ses ukases et ne tolère aucune vie démocratique dans le pays. Cette offensive a été préméditée, planifiée et quasiment revendiquée. Il est l’unique responsable du retour de la guerre en Europe, et menace « quiconque entend se mettre sur notre chemin » de rien moins que du feu nucléaire « des conséquences jamais vues dans votre histoire ». Le dysfonctionnement d’un dictateur met en danger un continent entier.

Que faire donc si l’option militaire n’est pas retenue: les sanctions, à condition qu’elles soient principalement technologiques et n’affament pas le peuple russe, surement. Que les oligarques qui soutiennent Poutine mesurent le danger d’une telle complicité serait un premier pas avant une plausible défection. Armer les ukrainiens, c’est déjà probablement trop tard et revient à déléguer au peuple d’Ukraine les combats que l’occident ne veut pas assumer, avec raison. Toutefois, les laisser désarmés face à la deuxième armée du monde serait une lâcheté encore plus insupportable et un redoutable aveu de faiblesse, ouvrant la porte à d’autres invasions, partout dans le monde. Un bon compromis serait de leur fournir massivement des armes défensives, voire létales si nécessaire. Par ailleurs, pour contenir les pulsions prédatrices du dictateur dysfonctionnel du Kremlin, il serait prudent de renforcer vigoureusement (et préventivement) les forces militaires des pays limitrophes: Pologne, Slovénie, Hongrie, Moldavie, Roumanie.

Puisque l’idée démocratique sème la panique à l’Est (et dans une minorité de nations de l’Union Européenne), soutenons vigoureusement les oppositions démocratiques dans tous les pays où elles se lèvent courageusement pour lutter contre les dictatures. Aidons ces résistants résolus, intrépides et persévérants par tous les moyens à notre disposition. Ils sont nos alliés naturels et leurs combats contribuent à la paix. La vérité est toujours victorieuse, au moins à la fin. La raison finit par l’emporter après les dérèglements désordonnés des furieux ou des stupides. La liberté ne peut se mériter que par la répétition d’actes libres de refus et d’invention nouvelles.

Psychanalyses et Littératures

« Sait-on ce que c’est qu’Ecrire ? Une ancienne et très sage mais jalouse pratique, dont git le sens au mystère du coeur »
Stéphane Mallarmé

Je suis vraiment très heureux de retrouver mon Alma Mater, une douzaine d’années après avoir dû la quitter en raison de mon âge et de la stupidité réglementaire. Je peux ainsi rencontrer a nouveau mes amis, mes anciens élèves et mes collègues. Je prends aussi la mesure des presque soixante années, pendant lesquelles j’ai d’abord étudié, puis travaillé (enseignement et recherche )dans cette maison ou professa le grand Jean Jaurès.

Cette histoire avait débuté dans les bâtiments traditionnels et pres-tigieux de la rue Albert Lautmann, où je recevais les enseignements de mes maîtres et en particulier de Philippe Malrieu, qui prenait la suite de Jean-Pierre Vernant , héros de la Résistance et de la libé-ration de Toulouse et d’Ignace Meyerson, sans oublier, évidem-ment, Vladimir Jankélevitch ni Eugène Minkowski. C’est dans cette école toulousaine nouvelle et déjà réputée que je débutais mes jeunes enseignements en octobre 1968 , pour diriger le diplôme de psychopathologie de ce que l’on appelait à l’époque « l’Institut de Psychologie ». Par la suite, les errements de la politique universitai-re des ces années-là nous conduisirent à enseigner dans la prison de Furgole, puis dans les bâtiments préfabriqués de l’Arsenal et enfin dans ces lieux où nous nous trouvons, qui furent pendant longtemps détestablement inhabitables.

Aujourd’hui, je constate la beauté et le confort de cette Université rajeunie dans sa nouvelle architecture et ses jardins, en dépit des spasmes qui la secouent de manière récurrente . Et chacun peut apprécier son souci de bien accueillir ceux qui la servent et ceux auxquels elle sert, c’est-à-dire nos étudiants .

Alors, après toutes ces décennies, en cette Faculté rebelle, insou-mise et parfois auto-destructrice, dans un monde que nous avons cru serein voire apaisé ( la fameuse et trompeuse « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama ), je suis aussitôt saisi à l’ouverture de ce colloque, par un sentiment d’illusion et de leurre. Cette réunion a pour titre « Psychanalyse et Littérature », pour sous-titre « regards d’écrivains sur la Clinique Contemporaine » et, pour ce qui est de cette séquence matinale, Apport de l’oeuvre de Rimbaud à la psy-chopathologie contemporaine,… autant de liaisons énigmatiques, peut-être paradoxales.

Les trois intervenants de cette matinée ont chacun écrit un livre sur Arthur Rimbaud. Le conservateur du Musée Rimbaud de Charlevil-le m’indiquait l’année dernière que sa difficulté ne résidait pas dans l’exposition de ce qui restait d’Arthur ( peu de choses, une malle de voyages, quelques objets personnels, des livres techniques, pas de littérature ni de poésie ) mais dans l’accumulation et la présen-tation des ouvrages reçus par dizaines chaque année sur l’aventurier qui nous réunit ce matin.

Je vais vous dire franchement ce qui me vient, à l’envers de la pensée dominante qui légitime ce colloque : j’éprouve la plus grande réserve à l’égard de ce qui est nommé « la psychanalyse appliquée », en dépit des essais de mes illustres prédécesseurs et contemporains , adeptes de la psycho-biographie ( rappelons le lamentable tentative de Sigmund Freud sur le Président Wilson), à la différence des remarquables chercheurs plus récents qui travail-lent sur la textanalyse.

Ma réticence s’appuie sur deux raisons : d’une part la psychanaly-se s’adresse à un sujet qui en exprime la demande dans le cadre du transfert et du contre-transfert ; d’autre part la réduction de la compréhension d’une oeuvre ou d’une existence à une analyse psychanalytique en ignorant toutes les autres herméneutiques ( lit-téraires, linguistiques, poétiques, sociales, politiques…) qui pour-raient en rendre compte témoigne d’un rétrécissement de la pen-sée.

De plus quand je mets en parallèle cette abondante, vraiment trop riche littérature , et l’inquiétant état du monde en cet été 2019, je me dis dans un premier temps : « ces dizaines de milliers de mi-grants qui perdent leur vie dans ce berceau de la civilisation qu’est la Méditerranée et la transforment , selon la belle expression, inter-prétée, de Paul Valéry en « Cimetière Marin » , ces millions de morts prématurées liées au dérèglement climatique , ce terrorisme répandu urbi et orbi, et cette renaissance, en Europe et ailleurs, des mêmes causes qui , dans les années 30, entraînèrent la pire horreur de ce qui n’était plus l’humanité, je me dis donc : nous sommes au congrès de Vienne en 1815 où Talleyrand et Metter-nich réglaient le sort du monde occidental entre les banquets, les concerts et les éternelles Valses de Vienne étourdissant les esprits, qui nous conduisirent à deux siècles d’horreurs et de guerres meurtrières.
Je me dis encore: « nous sommes sur le pont du Titanic où l’orchestre , par ses harmonies musicales, accompagna et dissi-mula élégamment , jusqu’au bout, la tragédie finale. »
Et je me dis aussi : « nous sommes à Munich, en 1938, quand le Président Daladier et le Premier Ministre Chamberlain capitulèrent honteusement devant le chancelier Hitler et le Duce Mussolini ( comme le releva aussitôt Churchill : « vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre » ) provoquant ainsi l’inéluctable tragédie qui en-sanglanta le monde de 1939 à 1945, et au-delà.

Le citoyen engagé que je suis s’interroge, parfois, sur l’urgence à disserter sur psychanalyse et littérature en se demandant si ces controverses ont plus d’utilité qu’un engagement déterminé au service de l’humain et du vivant ?

Mais dans un second temps, exerçant la fonction de penser la pensée , et d’abord ma propre pensée, je me suis dit que je ne voulais pas la réduire à une orientation unique et non contradictoi-re.
En effet je fais référence ici à la collection que j’ai dirigée aux édi-tions Ombres et qui a pour nom Soupçons, Littératures et psycha-nalyses , dans laquelle ont été publiés, entre autres, Jean Bellemin-Noël « Diaboliques au divan », Pierre Glaudes « Contretextes », Daniel Bougnoux « Le fantôme de la psychanalyse ». Ces travaux délient le texte de ses origines biographiques et s’intéressent, se-lon la belle expression de Didier Anzieu : « Le corps de l’oeuvre », à ce qui s’interpose entre l’auteur et le lecteur, à savoir le texte lui-même, sujet projectif de celui qui écrit et objet interprétatif de celui qui le lit .

Ergo dans le combat éternel du Glaive et de la pensée qui se fait Verbe, c’est toujours le Verbe qui l’emportera. Et notre devoir, à nous tous, qui espérons être des intellectuels – même si ce mot ne désigne pas aujourd’hui les philosophes, écrivains et inventeurs du siècle des Lumières mais les forces montantes de la société matérialiste, capitaliste, et cognitiviste qui vient – est justement de maintenir ces disputes entre nous sur la beauté des mots , des idées , des émotions, et sur les confrontations entre les concepts , théories et recherches qui peuvent paraître sans objet, voire inuti-les, même dérisoires. Car au fond tout cela est maintenir au moins un semblant d’humanité dans ce monde des big data, des algo-rithmes , de l’intelligence artificielle.

Je vais donc vous parler de Rimbaud en récusant toute analyse psycho-biographique et en refusant toute évaluation structurale du fonctionnement d’ un homme, par ailleurs génie , qui écrivit « je suis caché et je ne le suis pas » .

Je vous propose donc, d’écouter la lecture d’une lettre que j’ai re-trouvée, écrite par Arthur Rimbaud le jour de sa mort, ce jour pré-cis où personne ne peut jouer et où chacun doit assumer sa vie et la finitude de sa vie .

Hôpital de la Conception.
Marseille , le dix novembre mille neuf cent quatre-vingt onze, le jour de ma mort.

Mon nom est Jean Nicolas Arthur Rimbaud. Je suis né à Charleville (Charlestown) le vingt octobre dix-huit cent cinquante-quatre, dans une famille sévère de paysans ardennais, robustes et gaulois .
Je n’ai rien à dire de mon enfance, studieuse, orpheline et pleine de ré-pugnances. Ma mère avait le regard bleu qui ment, mon père ne me lais-sa d’autres souvenirs que celui de sa désertion quand j’avais six ans. Une fille de paysans, solide, énergique, pieuse et dure (c’est dito), un of-ficier valeureux sorti du rang et très militaire, qui part.
Je n’ai pas connu l’Amour. Je ne peux vivre sans Amour et donc j’ai tou-jours cherché l’Amour, même, surtout, dans mes turbulences. Ils (tous) ne l’ont pas compris. Et peut-être pas moi-même.
Ma sœur Vitalie est morte, je n’avais pas trois ans. Mystère de sa dispari-tion. Une autre sœur, désespérément nommée Vitalie, aussi, la rempla-cera moins de trois ans plus tard. Mystère de la résurrection. Elle mourut d’un cancer du genou à dix-sept ans, j’en avais vingt-et-un. Je me rasai la tête et cessai d’écrire. Je n’en pouvais plus de ces départs, de ces morts, de mes défaites.
Je voulais changer la vie. Je voulais, follement, que la poésie, la mienne, libérée, transfigure la littérature – les belles lettres comme vous dites – et aussi le monde, tout le monde et le monde in extenso. Car j’étais Voyant et Poète, car la liberté libre guidait mon désir incandescent. J’y crus, et consacrai un labeur harassant à cet onirisme libertaire.
Il fallut d’abord séduire, puis tuer, enfin se tuer. Je ne faillis jamais.
Je fis comme j’avais inventé qu’il fallait faire. D’abord, corseté par la reli-gion et la mother, je conquis tous ces prix stupides dans les écoles de Napoléon le petit. J’envoyai même une ode à son fils pour sa commu-nion. J’étais dans le chemin, le chemin infernal mais je ne le savais pas. Izambard m’encourageait dans cette ornière, lui qui n’avait pas quitté le râtelier universitaire.
Ensuite je conquis Paris, le Parnasse, ce crétin de Banville, ce pauvre Verlaine, les Affreux Bonshommes, les drôles du Cercle Zutique. Mais il fallait s’encanailler, s’encrapuler au maximum. Je le fis avec éclat, avec rage, avec la force du désespoir de l’espérance. J’aimais la folie de ce mouvement qui me dévastait avec une énergie naissante.
Ce n’était pas assez. Alors, emporté par une vigueur forcenée, j’attaquai ce que j’aimais le plus, la langue. Je brisai ce stupide alexandrin qui in-carcérait le futur, je libérai le vers, j’inventai la poésie dans la prose de tous les jours, la poésie libre.

Accablé par les échecs de ces tentatives de la dernière chance, je ra-contai ma triste vie, peuplée de visions hallucinatoires, dans une Saison en Enfer. Comprenne qui pourra. Qui voudra. Les cuistres ne sont pas admis dans cet étincelant diamant noir, j’ai voulu dire ce que ça dit, litté-ralement et dans tous les sens.

Ivre de sensations totales, je jetai mes ultimes forces dans les Illumina-tions. C’était trop. Mais pas assez pour révolutionner le monde. Je de-vais renoncer à ces images inouïes qui naissaient en mon cœur esseulé. À nouveau un pauvre pitre. Ayant échoué à changer la vie, je me résolus à changer ma vie. Je devais partir ; je le fis, sans cesse. Quatorze fois, vagabond solaire et affligé, une force inconnue me ramenait toujours à Roche.
Enfin, comme le capitaine, mon père inconnu, je désertai définitivement et ma famille, et mon pays, et ma langue. Basta !
Je connus Chypre, puis l’Afrique, les travaux et les jours. Je travaillais comme un homme des Ardennes , un Cuif errant. Je voulais l’or, le mé-tal riche. Et plus jamais la poésie. Je me fis aventurier, négociant, entre-preneur, je brûlai d’une nouvelle fièvre. Je transportais des marchandi-ses, des armes ; des esclaves jamais. L’amour de la liberté, le seul qui me restât, m’habitait toujours.
Jamais de ma naissance à ce jour de ma mort, jamais ne vacilla ma rai-son, moi qui fus l’ennemi implacable de la Raison. Je sus, dans ces tourmentes insensées, ne pas plier aux visions qui m’habitaient.
Mais mon corps, finalement fut le traître qui m’abattit. Le marcheur éter-nel dut recevoir cette maladie de la marche, dans mon genou installée, dans ma jambe enfin tronçonnée.
Je savais tout cela depuis toujours. Peut-être l’ai-je voulu ainsi. Faute d’Amour…
Mais surtout, j’ai aimé la liberté libre et personne, nobody, ne m’entravera, comme toujours.
A.R.

P.S. : un individu qui s’intéresse à moi – il dit qu’il aime ce que j’ai fait de la poésie et de ma vie – et ne comprends rien, si ce n’est que « je est un autre » ( il est psychanalyste à la campagne ! ) a décidé d’écrire sur cet Autre, cet Autre mutilé et désespéré mais toujours libre. Je lui offre le champ libre – et le chant. Pardon du jeu de mots.
À lui de dire. À ses risques et périls.

Cette lettre apocryphe – vous l’avez compris- est un résumé rim-baldien de la vie et de l’œuvre d’Arthur. Elle représente ma lecture personnelle des errances de ce fugitif qui fut aussi un revenant. Ma question de lecteur plus que de psychanalyste porte sur l’unité d’une vie et d’une œuvre qui pourtant furent sectionnées à vingt ans entre la période du génie poétique et celle de la fuite éperdue dans les déserts de la Terra Incognita. Et pourtant, déjà, le poète, dans sa jeune créativité, déserta Charleville une quinzaine de fois mais pour y revenir toujours , sur injonction maternelle ou par né-cessité matérielle , ou surtout par obligation mentale ( sa mère, sa terre, ses sœurs lui faisaient « comme un manque »).

Plus tard quand il quitta son invention poétique , parce qu’il avait voulu changer le monde par la poésie et crut ne point y être parve-nu, il choisit non plus de changer la vie mais de changer de vie. C’est ainsi qu’il rejoignit les terres lointaines du Yémen, du Harar et qu’il rêva d’atteindre Zanzibar sans jamais y parvenir, mais qu’en même temps il entreprit une correspondance active et si abondan-te avec sa mère et Isabelle, sa dernière sœur.

Un enfant-poète qui voulait, par son verbe, révolutionner la littéra-ture et la vie, fit donc place à un explorateur négociateur épistolier qui produisit en volume plus de lettres que de poèmes dans le temps de son explosion créatrice. C’est le même homme qui écri-vit à Izambard : « Je est un Autre » et quelques années plus tard en 1888 à sa mère en réaction à la publication par Verlaine de certains de ses textes ( les Illuminations, la Saison ) : « absurde, ridicule, dégoutant, des rinçures , ce n’étaient que des rinçures … ».

Au fond, il fut à la fois un guetteur, un quêteur, inventeur d’impossible et un enfant devenu homme profondément ambitieux, d’une ambition noble mais toujours déçue. La révolte juvénile , l’insoumission naturelle de cet ardennais au front dur laissèrent peu à peu place à une désillusion existentielle, voire peut-être , se-lon ses lettres, à un mouvement dépressif. Ce marcheur, infatiga-ble dès son plus jeune âge jusqu’aux steppes désertiques de l’Afrique, a achevé son errance en dessinant lui-même la litière sur laquelle il fut transporté jusqu’au bateau, qui devait le conduire à Marseille où on l’amputa de la jambe, en raison d’une carcinose du genou.

Comment, dans cette vie mutilée, chaotique, ne pas évoquer le Rimbaud déserteur , du génie au désastre. Arthur, enfant, déserta l’Amour, faute de l’avoir rencontré , ainsi dans les Etrennes des Or-phelins, ces deux vers :
« Votre coeur l’a compris – ces enfants sont sans mère;
Plus de mère au logis! Et le père est bien loin. »
Adolescent , il déserta la poésie car elle n’avait pas changé la vie, ensuite ses camarades, ses amis ( en particulier Paul Verlaine ) , ses maîtres déchus ( Izambard, les Parnassiens…) se réfugia dans le désert, puis le déserta par sa mortelle mutilation.

Enfant abandonné, il fut un homme abandonnique. révolté rebelle il devint, avec un terrible courage, un déserteur, comme son père le Capitaine. il parcourut ainsi dans les trente-sept années de sa courte existence le long et dur chemin allant du désert de l’amour au désert des sables africains puis à la solitude désertique d’une mort ordinaire.

Tragique , cette vie de déceptions itératives jusqu’au désert de la mort !

Je mesure ce que cet œuvre-vie apporta, par ses tourments et son destin chaotique, à la compréhension psychodynamique d’un homme et de ses textes. Mais je ne sais pas très bien ce que la psychanalyse , dite « appliquée », peut apporter à la perception intime, sensible, de ce destin exceptionnel . Rimbaud n’a sollicité aucune explication ou interprétation de sa vie et de son œuvre. Il n’a pas demandé à Etiemble de consacrer trente ans de sa vie à ausculter ses virgules et ses néologismes , ni aux trois psychana-lystes qui siègent autour de cette table, d’écrire un livre sur lui.
Rimbaud est mort en 1891 , Les études sur l’hystérie d’un autre grand génie datent de 1895. Certes les oeuvres sont immortelles et Freud ne connaissait ni l’homme Shakespeare ni les auteurs Tragi-ques Grecs dont les textes l’aidèrent tout autant que la clinique de ses patients, à déconstruire, comprendre et modéliser les grandes passions humaines et les pulsions archaïques de toujours.

J’irais même plus loin, si Rimbaud a nommé le premier l’inconscient, je ne suis pas certain qu’une lecture purement psy-chanalytique de sa vie, de son travail et de ses échecs ne nous éloigne pas, par la chape théorique, de la sensibilité extraordinaire du vécu de cet enfant-homme et de la formidable révolution qu’il imposa à la langue, la poétique et l’expression littéraire françaises.

L’enfermement théorique d’une certaine psychanalyse a créé suffi-samment de malheurs dans les débats de société (autisme, homo-sexualités…), n’y ajoutons pas une imposture épistémologique en incarcérant les inventeurs d’impossible dans la dictature des dog-mes théoriques, qui réduisent la vie à des algorithmes. Dans ma résistance au non-humain , je plaide pour que la sensibilité humai-ne l’emporte sur l’interprétation théorique, et pour que l’esprit des textes et le sens d’une vie prévalent sur les commentaires biogra-phiques des spécialistes « sachants ». Finalement je n’adhère ni aux études psycho biographiques, ni aux tentatives d’évaluation structurale du fonctionnement de la personnalité des auteurs, mais je me sens proche des travaux de textanalyse qui nous placent au plus proche de l’intimité des auteurs. Mais comme l’écrit Paul Valé-ry, l’essayiste : « Un homme compétent est un homme qui se trompe selon les règles ».

Henri Sztulman
28 juin 2019

Faim et soif/ Guerre et barbarie/Liberté et dignité/ Migrants et réfugiés

Je suis né à Toulouse, le 1er octobre 1939, d’un père lui même né en Pologne en 1906, migrant « universitaire » (il était venu étudier la chimie à Toulouse, dans les années 20, auprès de Paul Sabatier, prix Nobel), et d’une mère, née à Paris en 1915, mais elle même fille de réfugiés  russes rejoignant la  » Patrie des Droits de l’Homme » à Paris, au début du XXème siècle, pour échapper aux pogroms ordinaires et réitérés en Russie. Cette filiation ne me donne aucune légitimité particulière pour m’exprimer sur la tragédie planétaire, sans doute à ses débuts, que vivent celles et ceux qui risquent leur vie pour échapper à la barbarie, à la faim et la soif, aux désordres économiques illimités de la dérégulation planétaire et bientôt aux ravages environnementaux nés de la folie des hommes.

Pas davantage je ne puis m’autoriser des cinq premières années de ma vie d’enfant, caché, chassé et pourchassé dans un pays, notre France, souillée par l’État français de Pétain, et dans notre Europe gangrenée et déshonorée par le nazisme longuement triomphant. J’ai en effet infiniment moins souffert que ces êtres humains innombrables, qui à l’époque périrent dans les camps ce concentration puis d’extermination et que ceux qui aujourd’hui  errent sur les continents, et, pour les plus chanceux, échappent à la noyade, à la congélation dans les montagnes, ou dans les camions réfrigérés ou dans les soutes d’avions qu’ils empruntent, puis aux contrôles douaniers, policiers ou militaires. Faut-il une dose de détresse infinie, de désespoir absolu pour risquer ainsi sa vie cent fois en essayant de la sauver et de trouver les chemins de la liberté et de la dignité!

Fils d »immigrés, mais aussi père d’une immigrée, ma plus jeune fille, née à Haïti en 2000 et adoptée en 2002, qui m’apporte tous les jours la preuve que le pire peut être évité en même temps qu’elle m’offre le meilleur et représente pour moi un soleil d’automne.

Donc, aucune justification singulière à m’exprimer mais peut-être, sans doute, une sensibilité intime qui m’impose de ne pas demeurer silencieux, et donc complice, face aux maltraitances  inqualifiables  infligées à ces malheureux que leurs infortunes, le plus souvent tragiques, condamnent à errer sur la planète. Je n’entends ni me lamenter ni gémir mais je ne suis pas assuré, plus je pense, plus j’apprends, plus je cherche, d’éviter la colère et l’indignation. Je dois au moins cela à ceux qui subissent la mort, la prison, l’errance pour protéger leur vie et le respect qui est dû à tout être humain, et d’autant plus qu’il se trouve dans les désastres humains et des catastrophes planétaires infligés par d’autres hommes.

Je ne souhaite pas davantage entrer dans une polémique politicienne ni me limiter à évaluer l’action des gouvernements successifs de notre pays  ou de l’Europe ou d’ailleurs. Simplement partager avec vous ce que mes lectures, mes recherches sur les études les plus récentes et documentées m’ont permis de comprendre des faits bruts (bien éloignés de ce qui circule dans les réseaux sociaux, certains médias et aussi, hélas, dans tels discours politiques). Il y a, en effet, ceux qui soit utilisent la complexité du phénomène migratoire pour mieux rejeter les migrants et flatter les inclinations xénophobes et racistes de leur électorat ou de leur clientèle, et à l’inverse ceux qui, éloignés du pouvoir et de l’action politique, exploitent ce malheur absolu pour se parer des atours de la grandeur d’âme et de l’altruisme en prônant des solutions et des méthodes irréelles (accueillir immédiatement et sans condition tous les demandeurs)). Aux antipodes de ces postures malhonnêtes qui, toutes, se servent honteusement des migrants, ma totale sympathie va à celles et ceux qui servent, ou tentent de servir, les migrants: ainsi les humanitaires de l’Aquarius ( désormais le seul navire actif de sauvetage en Méditerranée centrale depuis que les autorités italiennes ont saisi le navire Open Arms de l’ONG espagnole Pro Activa) qui depuis deux ans secourent les naufragés en Méditerranée (ou repêchent les noyés, innombrables cadavres), les montagnards des Alpes  qui favorisent les passages clandestins ou les associations du Calaisis qui inlassablement assistent celles et ceux qui veulent ou rejoindre leurs proches ou un travail possible en Grande Bretagne (et qui sont traités, par toutes les autorités, de manière inhumaine et indigne). La solidarité et l’hospitalité sont par définition de magnifiques qualités humaines, les qualifier de délit serait (est déjà) une forfaiture. Je m’explique:

– « le délit de solidarité » n’existe pas en tant que tel, aucun texte de loi ne mentionne ce terme, mais il fait référence au code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda, article L622-1) daté de 1945. Ce texte dispose que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour d’un étranger en France » encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende ». Initialement prévu pour lutter contre les réseaux clandestins de passeurs et de trafic humain cet article s’est récemment éloigné de cet objectif respectable pour réprimer  des bénévoles venant en aide à des migrants (toutefois une réécriture de décembre 2012 élargit sensiblement les causes d’immunité à ce délit, par exemple fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux, sans  cependant modifier l’aide à l’entrée ou à la circulation sur le territoire français. De nombreux procès récents en témoignent. C’est ce glissement de la lutte contre les passeurs trafiquants à la répression contre des citoyens humanistes qui tendent la main aux déshérités de la terre que je nomme forfaiture;

– « le délit d’hospitalité » si lié à l’histoire de l’humanité fera l’objet d’une réflexion dans la deuxième partie.

Je propose donc de commencer par une revue de la littérature scientifique, sur le plan démographique, sociologique et économique, des effets des migrations, soit des déplacements de populations; et de poursuivre ensuite par une réflexion plus personnelle,  littéraire voire philosophique, des relations entre exil, mémoire et migration. Ainsi une approche logique et cartésienne (pour confronter les mythes souvent erronés qui circulent à la réalité du terrain), tempérée, assouplie et nuancée par une perpective humaniste qui exprime aussi la réalité psychique de ces humains, leur souffrance, l’exil, la perte, la recherche de l’identité auxquels ils sont confrontés.

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Pour ce qui concerne l’approche objectivante je me suis appuyé sur l’excellent livre de E. M. Mouhoud, « L’immigration en France » Paris, Fayard, 2017 qui procède à un recension exhaustive et sans complaisance des principales études socio-économiques conduites sur le sujet ces dernières années (sources principales : OCDE, ONU, INSEE, INED, FMI, UE…). Je n’ai pas trouvé d’essai plus complet et objectif sur ces questions controversées. Je m’autorise à féliciter l’auteur et le prie de m’excuser pour ces larges emprunts et surtout pour les erreurs éventuelles dans la retranscription de son expression.

La déconstruction d’un grand nombre de mythes sur les populations migrantes est en effet une nécessité tant scientifique que politique dans ces temps de propagation des thèmes xénophobes, racistes, ségrégationnistes, totalitaires dans la plupart des pays d’Europe et aussi sur tous les autres continents, et cela d’autant plus que les conséquences de la crise mondiale du capitalisme et l’irruption sanglante du terrorisme ont affolé les populations, détruit une part des codes protégeant les libertés en même temps que les réseaux sociaux favorisaient la propagation virale d’informations incontrôlables, régulièrement fausses et politiquement (mal, parfois très mal) orientées.

Mais d’abord quelques définitions sont nécessaires telles que j’ai pu les trouver, pas toujours cohérentes, sur différents sites: un immigré est une « personne née étrangère à l’étranger et résidant en France » (Haut Conseil à l’intégration). Cette personne peut acquérir la nationalité française mais demeurera immigrée car cette qualité est permanente. Selon la définition de l’ONU « un migrant de longue durée est une personne qui se déplace vers un pays autre que celui de sa résidence habituelle pour une période d’au moins douze mois », et donc pour un immigré de courte durée la période de référence  va de trois à moins de douze mois. Les mobiles des candidats à l’émigration sont multiples: trouver du travail, étudier, rejoindre des parents ou nécessité urgente de fuir la famine, la guerre, la persécution politique. Pour ces derniers il s’agît de demandeurs d’asile qui seront dénommés réfugiés si leur demande est agréée. L’auteur de référence emploie le terme de migrants pour désigner toutes les personnes en situation de migration de longue durée. Et nous savons tous que viendront bientôt des populations chassées de leurs pays par les désastres environnementaux.

Les démographes ont établi que les migrations internationales s’effectuaient des pays du Sud vers ceux du Nord pour moins de la moitié, entre pays du Sud pour 40 %, et entre pays du Nord pour 20%. Ces migrants internationaux, au nombre de 244 millions en 2015, sont 3,3 % de la population mondiale cette année là, alors que ce taux s’établissait à 2,5% il y’a 50 ans! Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement «, ignore probablement ces chiffres !

Autres nombres surprenants par comparaison avec les autres pays de l’OCDE: le rapport entre les flux d’immigration (solde migratoire entre les immigrés qui s’établissent en France et les émigrés qui s’expatrient) et la population du pays d’accueil est de 0.4 %, bien inférieur à la moyenne de ces autres pays qui sont à  0,7 %. Selon cet organisme, dans les 15 dernières années la part des flux d’entrées d’immigrés légaux à augmenté six fois plus vite en Espagne, trois fois et demie plus vite au Royaume-Uni, deux fois plus vite en Allemagne, et cinq fois plus vite aux États-Unis qu’en France.

Et encore: en France les immigrés sont 5,9 millions de personnes, soit 8,9 % de la population (dans le langage des chercheurs « le stock » par opposition au « flux »), à comparer aux 13 % de la moyenne des pays de l’OCDE. Les grands pays d’immigration ( Canada, Australie, Suisse…) sont au delà de 20 %; un deuxième groupe rassemble les pays dont le taux va de 14 à 20 %: Autriche, Espagne, Belgique, Suède…Le États-Unis et l’Allemagne sont autour de la moyenne (13 à 14 %. La France, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Unis….sont au dessous de la moyenne. Ainsi «  le mythe entretenu de la France comme grand pays d’accueil n’est plus fondé, comparativement aux autres pays développés, depuis les quinze dernières années « (E.M. Mouhoud).

Tout au long de ses recherches l’auteur nous rappelle quelques autres vérités:

–    ni la France, ni les grands pays développés n’accueillent « toute la misère du monde »; en effet les Trente Glorieuses « importaient «  des travailleurs peu qualifiés pour assurer la croissance rapide des grands secteurs de la reconstruction alors que de nos jours les migrants doivent financer leurs déplacements, et se situent le plus souvent parmi les personnes éduquées ayant pu réunir un pécule;

–    de nombreuses études, sur différentes périodes récentes, dans plusieurs pays aux économies semblables concluent qu’une augmentation de l’immigration de 10%  s’accompagne par une augmentation du salaire des natifs de 3%;

–    des évaluations précises infirment l’idée reçue selon laquelle les budgets sociaux profitent aux migrants; ainsi une étude comptable menée sur 32 ans ( de 1979 à 2011) conduit à un impact budgétaire compris entre un maximum de +0,20% du PIB et un minimum de -0,22%;

–    l’auteur livre également une série d’observations cliniques que je m’autorise à rapporter, tant elles me semblent pertinentes: les difficultés, voire les échecs de l’intégration ( à bien distinguer de l’assimilation qui voudrait que le migrant renonce à son passé, à ses racines, à ce que sa culture pourrait apporter à la nôtre) ne sont pas seulement le fait des immigrés mais sont aussi liés aux erreurs de nos politiques de l’emploi, du logement, de l’aménagement du territoire. Les deux premières sont affectées par des effets de discrimination, toutes les études et les opérations de « testing »l’ont amplement démontré, et la troisième aboutit à une assignation à résidence, une ghettoïsation qui leur est ensuite reprochée. Que certains politiques ne cessent de ressasser que l’immigration est un problème à contribué puissamment à le créer, et, au fil des années à rendre négatives les représentations mentales des citoyens sur les migrants. Que dire de la proclamation de l’éloge de la diversité en même temps que se cultive la peur de l’étranger, que dire du reproche fait aux enfants d’immigrés de ne pas se vivre français quand nous les traitons comme des étrangers?

Sur un autre plan, comme si ce qui précède ne suffisait pas, certains (toujours les mêmes) s’inquiètent du risque sanitaire que ferait courir l’accueil des migrants. Deux études extrêmement sérieuses et documentées, l’une en France, l’autre en Allemagne (voir Le Monde du 21 mars 2018) balayent ces soupçons intéressés et notent même que c’est dans le pays d’accueil que la santé de certains immigrés s’est dégradée et qu’ils ont contractées des maladies infectieuses. En octobre 2017 le Comité Consultatif National d’Ethique a rendu un avis qui rappelle que « les migrants ne constituent nullement une menace, ni sur le  système de soins ni sur notre organisation sociale » et qui souligne aussi que notre système de soins pose aux migrants « des questions de santé publique non résolues », en particulier en raison des procédures kafkaïennes pour l’obtention de l’aide médicale d’état (AME).

Deux remarques pour terminer cette partie: celles et ceux qui attisent des peurs archaïques (la peur de l’autre, de l’étranger, de la différence) pour récolter les suffrages d’électeurs soit peu informés, soit phobiques du dissemblable, soit les deux sont, à leur tour, soit des menteurs patentés soit des incompétents soit plus probablement les deux.

Et moi je regrette que la France, la plus occidentale des terres de l’Europe, forte de ses mille années d’histoire, riche de toutes ces populations qui, au long des siècles, sont venues, comme mes aïeux, étudier, se protéger, travailler, embellir notre littérature, nos sciences et nos arts renonce à cela même qui la fonde et la définit: l’amour de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

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JMG Le Clézio (2018) sur le « tri » des migrants: « dégueulasse, il ‘y a pas d’autre mot ». Il voit dans le tri fait entre les migrants qui fuient leur pays pour des raisons politiques et ceux qui fuient la misère « un déni d’humanité insupportable ». « Est-il moins grave de mourir de faim, de détresse, d’abandon, que de mourir sous les coups d’un tyran? »  Il rappelle avoir été lui même un migrant quand « ma mère nous a emmenés, mon frère et moi, traverser la France pour fuir la guerre. Nous n’étions pas demandeurs d’asile mais nous cherchions un endroit où survivre ». Réfractaire à une politique devenue un « monstre froid », il poursuit « S’il est avéré que pour faire déguerpir les migrants qui dorment sous une bâche par six degrés au-dessus de zéro les milices crèvent leurs tentes…S’il est avéré qu’on pourchasse les misérables comme s’ils étaient des chiens errants, Eh bien, cela est dégueulasse, il n’y a pas d’autre mot ».

Jacques Derrida ( 1996) : « l’an dernier, je me rappelle un mauvais jour: j’avais eu comme le souffle coupé, un haut le coeur en vérité, quand j’ai entendu pour la première fois, la comprenant à peine, l’expression « délit d’hospitalité »….En fait je suis pas sûr de l’avoir entendue, car je me demande si quelqu’un a jamais pu la prononcer et la prendre dans sa bouche, cette expression venimeuse, non, je ne l’ai pas entendue, et je peux à peine la répéter, je l’ai lue sans voix, dans un texte officiel ».

 Il s’agissait alors des « sans papiers »,  de ceux qui trouvaient asile dans des lieux de culte, chez des Justes, dans la clandestinité, même si leurs enfants étaient inscrits dans les écoles de la République, même s’ils travaillaient (avec des salaires, souvent au noir, mais avec les niveaux, toujours , d’un lumpen prolétariat), et au risque, permanent , d’un contrôle d’identité inopiné. Et donc au risque d’une « OQTF » cet aimable acronyme signifiant « obligation de quitter le territoire français ».

Quand je pense à toutes ces années, celles, lointaines, où je fus victime de cette chasse, puis celles, récentes, où mon silence me rendrait complice de ces procédures, certes moins mortifères, mais quand même inacceptables, non humaines (il suffit de consulter le site de Réseau Education Sans Frontières pour mesurer la détresse de ces familles, installées, finalement accueillies même sans régularisation, depuis des années, parfois beaucoup plus, quand un des parents, voire les deux est reconduit à la frontière, je dis expulsé, la famille disloquée, les enfants confiés aux services sociaux) je sais que le silence n’est plus possible. Ces exilés venus en France pour la liberté et le travail espéré sont condamnés à un deuxième exil, celui du retour vers le pays qu’ils voulaient quitter. Ces déracinés, qui pour beaucoup, tentaient de s’intégrer dans une nouvelle identité culturelle , voilà qu’ils sont renvoyés à la culture et à l’identité avec lesquelles ils avaient rompu.

Je me dis que le malheur frappe toujours ceux qui sont condamnés à la perte de l’identité et à l’exil. L’identité est ce bien si précieux, unique, à jamais inaliénable, que nous transmettent nos parents, notre histoire, nos paysages, notre culture et notre langue, si bien nommée maternelle. L’exil, surtout quand il n’est pas choisi mais subi,  nous impose le risque d’une amputation de ce capital identitaire, cette sorte d’ADN psychique, historique et environnemental.L’exil est une amputation et un abandon d’une part de soi même, souvent la plus intime, le deuil de l’enfance surtout. Et pour ces raisons nous ne devons ni refuser notre hospitalité à ces misérables que le malheur a lancé sur les routes du désespoir, ni leur imposer de s’assimiler, c’est à dire de perdre leur identité en se fondant dans les nôtres, mais bien au contraire les accompagner dans leur intégration dans une communauté qui, dès lors, s’enrichira de leurs différences.

Mais ce terme d’hospitalité, si généreux et chevaleresque dans son acception habituelle, ne va pas sans une certaine ambiguïté. Déjà le mot hôte m’interrogeait en ce qu’il désigne tout à la fois la ou les personnes qui reçoivent les invités  aussi bien que celles reçues en tant qu’invités. Cette polysémie me conduisit à interroger l’étymologie qui m’apprend que hospitalité et hostilité viennent tous deux du même mot latin « hostis », ce terme désignant l’étranger, qui peut aussi signifier l’adversaire, ou en grec le « xénos », d’où les vocables hostile et hostilité. Mais l’étranger  peut aussi être qualifié d’allié, méritant d’être reçu et accueilli: le latin invente un dérivé « hospes » à l’origine d’hôte, d’hôpital, d’hospitalité. Dans toutes les cultures des récits guerriers nous racontent combien de banquets fastueux,  où les invités étaient en fait des adversaires, officiellement conviés en vue d’une pacification, n’eurent d’autre but que le massacre impitoyable de ceux qu’il fallait éliminer ( comme la Saint Barthélémy ou les détestables manières des Antiques, Atrides, Labdacides). Éros et Thanatos ne cessent jamais leur dialogue fratricide, mais illustrent aussi un conflit qui définit, hélas, la condition humaine et peut être celle du vivant. La vie doit s’effacer devant la mort pour que l’hérédité de la vie puisse se renouveler. Stupidité des transhumanistes  qui croient pouvoir sectionner cette chaine!

Bien des poètes ont chanté les malheurs de l’exil, cette cruelle infortune, qui n’est autre qu’un amour des origines, empêché, ou déçu, ou impossible, ou réprouvé. L’exil, deuil d’une part de l’enfance nourrit une intense nostalgie. Ainsi Gaël Faye, dans son très beau livre autobiographique, Petit Pays, : »Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je l’étais de mon enfance. Ce qui me parait bien plus cruel encore ». Ou bien, une insupportable solitude comme Luis Sepulveda: » Les exilés sont comme les loups, nous rejoignons des meutes qui ne sont pas les nôtres, nous participons, nous chassons ensemble et pourtant la lune nous invite à nous mettre à l’écart pour hurler de solitude » (Histoires d’ici et d’ailleurs). Ou encore un exil intérieur dans une France occupée et martyrisée, comme celle où vécut Aragon, dans les années les plus sombres, et qu’il voulut conjurer, avec ses mots, ses mots magiques, dans « La rose et le réséda », « Ballade de celui qui chante dans les supplices » et dans l’extrait qui suit de « En étrange Pays Dans Mon Pays »:

« Rien n’est jamais acquis à l’l’homme Ni sa force

Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit

Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix

Et quand il croit serrer son bonheur il le broie

Sa vie est un étrange et douloureux divorce

Il n’y a pas d’amour heureux

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes

Qu’on avait habillés pour un autre destin

A quoi peut leur servir de se lever matin

Eux qu’on retrouve au soir désenivrés incertains

Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes

IL n’y a pas d’amour heureux

                                                               …..

Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard

Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l’unisson

Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson

                                                             …..

Et pas plus que de toi l’amour de la patrie

Il n’y a pas d’amour qui ne vive de pleurs

Il n’y a pas d’amour heureux

Mais c’est notre amour à tous les deux ».

Sa colère et sa tendresse sont aussi un chant d’espoir pour la France aimée, la France d’alors dont il est un exilé de l’intérieur, la France qu’il aime, mais la France défigurée par la trahison de Pétain et la collaboration dans la barbarie…

Même registre, même période: Alexis Léger, secrétaire général du Quai d’Orsay,  violemment opposé au  pacte de Munich et au démantèlement de la Tchécoslovaquie, est par le régime de Vichy, sur ordre personnel de Hitler qui le haïssait pour son opposition aux lâchetés de Munich, démis de ses fonctions, déchu de sa nationalité française; aussitôt il  s’exile en Angleterre, et très vite aux États Unis. Le diplomate s’efface et Saint John Perse, immense poète, futur Prix Nobel livre sa peine et sublime sa vie de proscrit dans son poème Exil, qui dit en même temps son expatriation géographique et aussi son exil personnel d’une vie remplie d’action, de grands honneurs et de lourdes responsabilités. A travers les thèmes de l’errance, l’étrangeté, les métaphores de la mer et du sable il proclame le liberté et la poésie comme l’allégorie et l’emblème de cette liberté. Quelques vers:

« Portes ouvertes sur les sables, portes ouvertes sur l’exil,

Les clés aux gens du phare, et l’astre roué vif sur la pierre du seuil:

Mon hôte, laissez-moi votre maison de verre sur les sables…

L’été de gypse aiguise ses fers de lance dans nos plaies,

J’élis un lieu flagrant et nul comme l’ossuaire des saisons,

Et, sur toutes les grèves de ce monde, l’esprit du dieu fumant déserte sa couche d’amiante.

Les spasmes de l’éclair sont pour le ravissement des Princes en Tauride. »

Pourquoi toutes ces citations, au risque de la cuistrerie? Parce que la beauté, l’inépuisable beauté de la poésie contre mes souvenirs douloureux, les images, les récits insupportables., ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Parce que ces poètes, qui furent des exilés, trouvèrent les paroles d’espoir qui réveillaient la vie. Parce que les ménestrels transportaient leurs chants de ville en ville, éternels nomades, éternels exilés. Parce, dans ces terribles questions des transhumances des individus et des peuples, les lois, si humanistes se veulent-elles, les administrations, si attentifs soient ceux qui appliquent ces règles, les stratégies politiques, si nécessaires soient les obligations de barrer la route aux xénophobes racistes qui menacent nos libertés formelles, parce que justement les lois , les administrations, les stratégies de la peur ne suffisent ni à comprendre ni à agir. Il y faut de l’humanité, une bienveillante, attentive, constante, et ni naïve, ni béate, humanité. Les arts nos offrent cela, et d’abord la poésie, parce qu’elle est à la fois mots, images, musiques et parfois énigmes. Elle est humaine. Si cultivés puissent-ils avoir été ou être aujourd’hui les bourreaux resteront à jamais incompatibles avec la poésie. Et ces humains qui cherchent ailleurs une lumière de dignité, au prix de l’abandon de leurs histoires si anciennes, de leurs liens familiaux, voire de leur honneur doivent être entendus par des humains, des humains qui les traitent avec un altruisme marqué par le sens à la fois poétique et tragique de la vie. Mais ces proclamations demeurent le plus souvent impuissantes.

Donc venons-en aux faits.

Le Parlement débat actuellement d’un projet de loi « pour une immigration maitrisée et un droit d’asile effectif » (en saisissant mon texte sur le clavier mon inconscient a écrit spontanément, dans le premier jet: « pour une intégration maitrisée et un droit d’asile affectif », un lapsus calami qui en dit long).  Le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, qui n’a pas la réputation d’être un dangereux gauchiste, s’interroge sur la nécessité d’un nouveau texte législatif, une vingtaine ayant été produit dans les quarante dernières années, dont les deux plus récentes en 2015 sur le droit d’asile et en 2016 sur le séjour des étrangers. Le démographe Hervé Le Bras ajoute que le « solde » ( le nombre d’ immigrants moins le nombre d’expatriés)  moyen de la France depuis 2008 se situe aux environs de 60 000 personnes par an et que 65 % des personnes qui reçoivent un titre de séjour sont titulaires du bac ou plus. Il ajoute que les 3,2 millions de Français qui ont émigré à l’étranger, les expatriés, sont des immigrés pour les pays d’accueil.

Sur un autre plan la France a su accueillir, imparfaitement, mais recevoir quand même, 700 000 catalans et castillans au moment de la Retirada, l’exil républicain espagnol sous la dictature franquiste, plus d’un million de Français d’Algérie après l’indépendance de ce pays, et dans de moindres proportions les italiens, les polonais, les espagnols, les portugais, les arméniens et aussi les maghrébins dont son industrie avait besoin (sans compter les innombrables soldats venus des quatre coins de l’Empire pour défendre la patrie). Tout près de nous la réunification allemande et, si récemment l’accueil par la chancelière Merkel d’un million de migrants disent que les limites sont plus politiques qu’économiques ou sociales.

Quels sont donc les objectifs de ce projet de loi? Le texte décrit trois axes: 1. la réductions des délais d’examen de la demande d’asile à six mois contre quatorze aujourd’hui, les requérants disposant d’un délai de quinze jours au lieu d’un mois pour disposer leur recours. 2. L’allongement de la rétention en centre de  rétention administrative pourra monter à cent trente cinq jours, contre quarante cinq aujourd’hui, et la retenue administrative passera de seize à vingt quatre heures. Des mesures facilitant la prise d’empreintes et punissant les refus de ces identifications entrent dans la loi.  3. la facilitation du séjour avec octroi d’une carte de quatre ans pour les titulaires de la protection subsidiaire (personnes  exposées dans leur pays d’origine à des menaces graves sur leur vie ou à des traitements inhumains ou dégradants ), et d’une carte recherche d’emploi ou création d’entreprise pour les étudiants étrangers qui veulent rester en France. Tout n’est donc pas négatif même si certaines mesures me font peur ( rétention allongée à cent trente cinq jours, délai de recours déduit à quinze jours pour des migrants qui ne parlent pas toujours notre langue et ne disposent que rarement d’un dossier administratif complet, place des enfants dans les centres de rétention, recueil obligatoire des empreintes, y compris pour ceux qui ne veulent pas entrer dans les règlements de Dublin).

Si elle n’est ni indispensable ni urgente à quelles nécessités répond donc cette loi? Selon moi deux:

1. Lutter contre ce que Robert Badinter a nommé la  » lepénisation des esprits », en 1997. Les idées du Front National ont pénétré quasiment tous les partis politiques, y compris le tabou du droit du sol. Qu’on en juge: 1. François Baroin (septembre 2005):  » Le droit du sol ne doit plus être un tabou »; 2. Édouard Philippe (mars 2018) concernant la crise de Mayotte, pour éviter que les enfants nés en situation irrégulière ne puisse réclamer la nationalité française au titre du droit du sol, se dit prêt à « ouvrir toutes les pistes de travail », ce qui inclut « l’extraterritorialité » de la maternité de Mamoudzou; 3. Laurent Wauquiez (mars 2018) se rend sur place et réclame purement et simplement la remise en cause du droit du sol sur l’île; 4. Manuel Valls (2018): « Une fois que l’on accède aux responsabilités, la réalité du flux migratoire s’impose. Même à gauche »; 5. François Hollande (2016 dans le fameux livre avec les journalistes Davet et Lhomme): « Il y a trop d’arrivées, d’immigration qui ne devrait pas être là »; 6. Jean Luc Mélanchon (2016):  le travailleur détaché « vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place » et ajoute « je n’ai jamais été pour la liberté d’installation »; 7. Brice Hortefeux: « Moi même ministre de l’immigration j’ai pu affirmer des choses indicibles dix ans auparavant…Nos concitoyens n’en peuvent plus du défi migratoire. Ce sujet est devenu structurant et monte d’un cran à chaque élection ».

2. Lutter contre le populisme-anti migrant qui sévit dans toute l’Europe et se traduit par des événements politiques impressionnants, des catastrophes dont nous ne mesurons pas encore le prix, pour nous et nos enfants : en 2015 victoire des ultras conservateurs en Pologne; en 2016 Brexit et Trump; en 2017, un coup d’arrêt en France et aux Pays Bas mais victoire de Kurz, extrême droite en Autriche; 2018 dictature du souverainiste Orban confirmée en Hongrie, imbroglio en Italie mais victoire de l’extrême-droite et des « cinq étoiles ». Tous anti migrants, tous anti européens, tous anti démocratie, bien sûr. Nos futurs, encombrés de ces sombres nuées orageuses, seront ce que nous en ferons.

Mais je ne suis pas certain que ces stratégies qui confortent et intensifient les peurs de nos peuples ou que la course à plus de répression pour les migrants soient efficaces. Certes ma main ne tremble pas quand j’écris que les criminels doivent être châtiés, qu’il s’agisse de terroristes ou de droit commun qui n’ acceptent pas les lois de la République, mais avec nos procédures précisément républicaines. Il faut le faire , mais cette « thérapeutique des symptômes » n’éradiquera pas les causes de la maladie sociale que nous affrontons, partout dans ce pays, comme chez nos voisins.

Et comment ne pas rappeler que la France s’est construite par la réunion progressive de ses fiefs, terroirs, provinces et régions, que l’Europe (27 pays) est la fille de la défaite du Reich et de la chute du mur de Berlin? Il fallut tant de guerres et tant de dizaines de millions de morts pour y parvenir, pour échapper à l’enfer, tel que le vit aujourd’hui le Moyen Orient. La mondialisation est en cours, que l’on s’en félicite ou le déplore, et fera de ce siècle celui des transhumances et des métissages; comment vouloir élargir sans cesse le programme Erasmus et prétendre en   même temps fermer les frontières de nos pays ou continents? L’humanité a réussi l’exploit, dans les récentes décennies, de détériorer gravement la biodiversité en détruisant une partie substantielle de la faune et de la flore; sur ce chemin la prochaine étape sera celle de son autodestruction par des guerres toutes gouvernées par le refus de l’étranger, alors que les famines, les désordres climatiques et les aspirations à une vie digne jetteront sur les routes du monde des dizaines de millions d’êtres humains. Ces grandes migrations sont à venir, il faut les préparer, et au niveau de l’Union Européenne, organiser la régulation des flux et la répartition entre les états membres. Les critères de convergence du traité de Maastricht, dont le fameux taux de 3%   du PIB en deçà duquel le déficit public doit être maintenu ont bien été acceptés, sinon toujours minutieusement respectés, par tous les états membres. Il pourrait en être de même pour les règles de partage des arrivants, sous peine de cessation des subventions, en particulier aux pays les plus réfractaires, soit le groupe de Visegrad: Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie. Et à l’intérieur de notre pays il faut revivifier nos campagnes et repeupler les déserts qui séparent les grandes villes. Le « prolétariat nomade » dont parle Alain Badiou trouverait certainement cette hospitalité acceptable et la ruralité y trouverait un nouveau souffle vital. Des dispositifs d’apprentissage et de formation professionnelle conventionnés avec l’État complèteraient le programme (appliqué avec succès en Allemagne et préconisé par le député Aurélien Taché).

Ces derniers jours le Président de le République française a parlé « d’humanisme réaliste » dans son souci de concilier le droit et l’humanité. Le propos comme l’intention sont louables, mais, pour être crédible, il doit mettre un terme immédiat et définitif à toutes les bavures dénoncées à juste titre par tant de personnalités non partisanes.

Par ailleurs le réel est le fruit, en grande partie, de notre action. Le réel nous le définissons et le façonnons, tous, tant que nous sommes, tout comme les contraintes qui le bornent. Nous pouvons, nous devons agir sur lui pour que l’humanisme puisse l’emporter sur le réalisme. C’est justement une des fonctions de la poésie vers laquelle je reviens car elle me réconforte et m’élève et enrichit mon optimisme de la volonté.

Les millions de migrants qui ont trouvé refuge en Amérique, aux temps lointains où elle se construisait, pouvaient lire sur le socle de la statue de la Liberté, ce beau poème d’Emma Lazarus:                                        The new Colossus

Pas comme ce géant d’airain de la renommée grecque

Dont le talon conquérant enjambait les mers

Ici, aux portes du soleil couchant, battue par les flots se tiendra

Une femme puissante avec une torche, dont la flamme

Est l’éclair emprisonné, et son nom est

Mère des exilés. Son flambeau

Rougeoie la bienvenue au monde entier; son doux regard couvre

Le port relié par des ponts suspendus qui encadrent les cités jumelles.

« Garde, Vieux Monde, tes fastes d’un autre âge! » proclame-t-elle

De ses lèvres closes. « Donne-moi tes pauvres, tes exténués,

Tes masses innombrables aspirant à vivre libres,

Le rebus des rivages surpeuplés,

Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte

Je dresse ma lumière au dessus de la porte d’or! »

Et je choisis, pour finir, quelques vers Mahmoud Darwich , le grand poète palestinien, épique, lyrique, qui vécut le désespoir créatif et l’honneur de l’exil:

« Car en fin de compte, nous sommes tous des exilés.
Moi et l’Occupant, nous souffrons tous les deux de l’exil.
Il est exilé en moi et je suis la victime de son exil.
Nous tous sur cette belle planète, nous sommes tous voisins,

tous exilés, la même destinée humaine nous attend,

et ce qui nous unit c’est de raconter cet exil ».

Enfin, pour insister sur cette communauté de destin évoquée par le poète, et comme malheureusement ces guerres, ces refus de l’étranger, ces phobies de la différence, ces haines irrationnelles sont portées souvent par des intégrismes religieux, je dois rappeler, moi qui suis un athée, juif culturellement et solidairement,  mais athée,  que Moïse et Jésus-Christ furent des migrants par nécessité, tout comme Mahomet, caravanier dans sa jeunesse, puis exilé à Médine après son bannissement de La Mecque. Ils apportaient, chacun à leur manière, les promesses de la Liberté, de l’Amour et de la Paix.

Des femmes: 2ème mouvement, réflexions plus personnelles. Ne pas subir et ne pas faire subir

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des femmes, depuis quelques mois, ont récusé la domination des hommes et la contrainte qu’ils exercent sur elles, sous sa forme la plus extrême, le viol et les agressions sexuelles. Certes issues du monde occidental cette révolution- je pèse la force du mot, je pense à la nuit du quatre août, celle de l’abolition des privilèges-  a déclenché, via les médias et les réseaux sociaux, une déflagration planétaire universelle. Universelle parce que bien qu’initiée par de célèbres étoiles du cinéma à Hollywood,  elle a été aussitôt reprise par des femmes, de toutes conditions et de tous pays, qui se sont senties enfin « autorisées » en particulier à travers le hashtag » #metoo »;  universelle aussi dans la mesure où cette insurrection a généré un nombre infini de prises de positions, de tribunes, de témoignages, de commentaires par d’autres femmes, mais aussi par des hommes qui, toutes et tous, s’interrogent ou tentent de le faire, se remettent en question, approuvent ou critiquent, nuancent ou globalisent, s’inquiètent des dérives éventuelles ou recherchent un affrontement global; universelle enfin car, au delà des viols et des violences, ce sont toutes les formes de maltraitance, jusqu’au plus subtiles, que les femmes dénoncent avec une force jusqu’ici inconnue et toutes les formes des privilèges du masculin qu’elles contestent.

Tuées, violées, battues? Certes, nous le savions, mais avions-nous vraiment conscience de l’épidémiologie de cette létalité (nombre de mortes: une tous les trois jours en France) et de cette morbidité (nombre de victimes: 96% des victimes de viols ou de tentatives de viols sont des femmes)? Et, pour chacune de ces profanations, mesurions-nous  l’outrage fait à l’humain   (en l’occurrence la femme)?  Crimes contre l’humanité? Oui.

En deçà de ces violences furieuses, insupportables pour tous les être humains, nous les hommes avions-nous par ailleurs pris la mesure de l’infinité des formes de mépris, dont depuis la nuit des temps  nous accablons les femmes? Pas  uniquement dans le domaine de la sexualité mais dans toutes les situations de la vie : partage du travail (en particulier domestique, mais pas seulement), rémunération de ce travail, accession aux postes de responsabilité, prise en compte de la différence, condescendance généralisée. Je ne sais pas avec certitude si on nait femme ou si on le devient (Simone de Beauvoir), si vraiment dans les peuplades préhistoriques les sociétés matrilinéaires l’emportaient sur le lignage patrilinéaire (Olivia Gazalé, « Le mythe de la virilité »), si le complexe de castration ou l’envie du pénis  peuvent rendre compte de cette terra incognita,  qu’est le féminin (Freud parlait du continent noir)  mais ce dont je suis désormais certain est le mépris (pas toujours conscient) que nous infligeons aux femmes, à  la femme, depuis la négligence de son humanité et de sa féminité jusqu’aux sévices quotidiens ou brutaux. Par leurs formulations et leurs outrances même ces femmes ont enfin ouvert un débat, qui est aussi un combat pour chaque être humain.

Jusqu’à quand vais- je accepter de subir? doivent enfin penser les femmes. Jusqu’à quand vais-je supporter de faire subir? doivent enfin s’interroger les hommes. Ce débat-combat que les femmes ont lancé nous invite, chacune et chacun, à pratiquer notre examen de conscience. Le texte du 21 janvier dernier a vu sa réflexion et sa rédaction gouvernées par l’éthique de responsabilité (attentive aux conséquences des actes et des actes de parole), sans que je puisse me défaire de mes identités de professeur, de psychanalyste, de chercheur. Celui que je soumets maintenant à votre lecture obéit à l’éthique de conviction, ( soucieuse, par exemple, de lutter contre les injustices et les inégalités), une simple lecture de l’évolution de mes relations avec les femmes tout au long de ma vie ; cette avancée doit beaucoup au vaste débat et à l’effort de réflexion qu’il a exigé de moi. Les deux écrits ne se contredisent pas mais se complètent car toutes ces positions coexistent en moi .

Un examen de conscience honnête doit aller jusqu’au bout, sans complaisance. Les femmes qui allaient à l’abattoir avec Weinstein, que tout Hollywood surnommait « the pig », donc elles savaient, n’ont-elles pas accepté, choisi? Celles qui ont gardé le silence  surtout quand le scandale a explosé ne sont-elles pas complices? Dans son commentaire précédent Béatrice évoque: » une attitude d’acceptation potentielle telle qu’elle rejoint l’excitation sexuelle », formulation courageuse que seule une femme peut se permettre, mais qu’il faut prendre en compte dans le combat pour mettre un terme définitif à ces arrangements, qui sont en fait des compromissions.

Mais ces interrogations appartiennent aux femmes. Nous, les hommes, devons nous questionner, sans faiblesse ni indulgence, sur notre volonté d’imposer aux femmes une tyrannie dans toutes ses variantes, de la délicatesse de l’amour courtois à l’outrage. Comme beaucoup je me suis interrogé sur mes pensées conscientes et mes comportements agis (je ne me livrerai pas à quelque forme d’exhibitionnisme et garderai donc mes fantasmes pour moi). Mais pour le reste je dois bien convenir que, né avant la guerre, je fus élevé, par ma famille, par l’école, par le milieu dans une vision qui se croyait bienveillante mais était, en fait, méprisante de la femme : quand je suis né elle n’avait pas le droit de vote (accordé en 1944), quand je parvins à la maturité (fin des études) elle n’avait pas la maitrise de sa vie sexuelle ( ni le droit de refus de son corps dans le cas de couple mariés jusqu’en 1980, ni pilule (1967) et encore moins IVG (1975)), ni le droit d’ouvrir un compte bancaire à son nom (1965). Ce climat entraînait tout le reste: double travail, professionnel et domestique, inégalité sensible des rémunérations, statut de machines à procréer ou à satisfaire les hommes.  N’étant ni Gandhi ni Mandela j’ai été évidemment contaminé, ce qui devait correspondre à quelques instincts peu glorieux en moi. Par exemple, une anecdote que j’avais plaisir à raconter, il n’y a pas si longtemps encore, me revient à l’esprit. La voici: quelle différence entre une femme du monde et un diplomate? Quand un diplomate dit oui, cela signifie peut-être, quand il répond peut-être il faut entendre non, et s’il exprime un non il n’est pas un diplomate.  Vous devinez la triste suite: si une femme du monde exprime un refus, il faut comprendre peut-être, si elle formule peut-être cela signifie oui et enfin si elle prononce un oui elle n’est pas une femme du monde. Consternant sous-entendu. Autre exemple j’aimais citer cette phrase: « Une forteresse imprenable est une forteresse mal attaquée » écrite par Valmont dans les « Liaisons dangereuses »,  dévoilant l’idée que je me faisais de la séduction et de la conquête des femmes (je découvris par la suite que Laclos l’avait emprunté, ou à peu près, à Vauban: » Il n’existe pas de forteresse imprenable, il n’y a que des citadelles mal attaquées »), autre symptôme de la guerre des sexes , des hommes comme des combattants, des femmes comme des victimes, les proies des conquérants. Les hommes, mais les femmes aussi, qui avaient malheureusement intériorisé ces partis pris, aimaient beaucoup ces histoires.

Je crois finalement que j’habillais de politesse, de courtoisie, de galanterie, une forme de discrimination positive avec laquelle je traitais les femmes, comme je le pratiquais avec ceux de mes étudiants dont la langue maternelle n’était pas le français et à qui j’attribuais systématiquement des points supplémentaires, au motif de compenser leur handicap. Comprenez-moi bien: je continuerai de m’effacer devant une femme, de tenir ouverte la porte de la voiture, de me lever quand je leur parle…mais simplement par respect, non parce que je les crois inférieures ou cherche à les séduire.

Pour autant, je ne sombre pas dans la culpabilité, simplement dans le regret de n’avoir pas compris plus tôt cette vérité si simple: la femme est l’égale de l’ homme, différente mais égale, elle n’est pas « l’avenir de l’homme » (comment Aragon a-t-il pu écrire cela, ce merveilleux poète de l’amour, sans doute une scorie du stalinisme?), elle est le présent de l’homme, comme l’homme est son présent. En ce qui  concerne mes années passées, il faut contextualiser: je vivais avec les idées de mon temps et la générosité des femmes à mon égard ( et d’abord la première d’entre elles, ma si chère mère) ne m’a pas permis d’entrer dans la dialectique critique du statut fait aux femmes. Pas de mauvaise conscience rétrospective donc, mais une détermination totale à rompre avec ce monde passé, ces habitudes  de pensée, désolantes et obsolètes,  à transmettre ce que j’ai pu comprendre (par exemple en écrivant ce papier) et ne rien laisser passer autour de moi (comme je le fais depuis très longtemps pour le racisme).

Je pense aussi que nous avancerons, nous les hommes, d’autant mieux vers  la compréhension et le partage,  de ce que je nomme, au début de ce papier, une révolution ,que les femmes, en particulier les militantes, ne nous opposeront pas la guerre des sexes. Je parle ici des conditions, féminine et masculine, et non des violences physiques qui sont du ressort de la police et de la justice (Il serait bon toutefois que toutes les femmes battues et ou violentées déposent des plaintes et soient accueillies avec considération dans les commissariats, gendarmeries, hôpitaux et protégées autant que nécessaire par des hommes (et des femmes) attentifs et respectueux).  Non, je parle ici de toutes les inégalités, même si elles sont dissimulées, subtiles, qui doivent être réduites. Je prends un exemple, en apparence anodin, dans la grammaire de la langue française: depuis le 18ème siècle, nous apprenons que dans les accords de genre le masculin l’emporte sur le féminin, ainsi « les hommes et les femmes  sont beaux »;  mieux vaudrait appliquer un accord de proximité: « les hommes et les femmes sont belles » ou un accord de majorité:  » les hommes, les animaux et les femmes sont beaux ». Ainsi serait éradiquée cette domination du masculin sur le féminin, source de représentations mentales discriminantes.  A l’inverse  (car l’ultra féminisme dessert la cause qu’il prétend défendre)  je ne vois pas ce que l’écriture inclusive, soit écrire les candidat.e.s au lieu de les candidates et les candidats, apporterait à la condition féminine, mais je mesure bien la défiguration imposée à la langue française , que je considère comme une partie essentielle de ma patrie, à l’instar de Camus.

Les jeunes gens de mon temps avaient une vision faussée de la sexualité; nous croyions, au motif de considérations anatomiques et physiologiques utilisées à mauvais escient, que le masculin signifiait actif, conquérant, vainqueur, pénétrant versus un féminin passif, soumis, pris et défait. Nous ne recherchions pas suffisamment à provoquer le désir de  notre partenaire, car nous étions persuadés que dans le mouvement nous lui offririons d’accéder au plaisir, au fond que la fin justifiait les moyens. Notre gaucherie et notre terreur de provoquer une grossesse n’expliquaient ni n’excusaient de tels comportements. Nous n’avions pas encore compris que les femmes revendiquaient le droit à l’initiative et commençaient à exiger que le partage sexuel les amène à l’orgasme, désormais un droit.

D’autres hommes, bien pires, se contentaient de satisfaire leur désir sans se soucier de la femme qu’ils utilisaient et  la réduisaient ainsi au statut de sex toys, d’objets sexuels, dont même la qualité de sujet humain se trouvait ainsi niée. Ces violences détestables existent toujours, bien malheureusement. Ces butors croient connaitre et posséder ce que Louis Calaferte nomme « la mécanique des femmes ».  Ils n’ont pas compris que leur système de pensée les soumet eux mêmes à l’obligation de se conformer à des canons de virilité coercitifs, à devoir toujours  prouver davantage leur puissance sexuelle, à refuser la part féminine qui existe en chacun de nous, et les conduit à l’homophobie. En fait ils ne le savent pas mais ils ont peur: peur de pas démontrer en suffisance leur libido, peur des femmes, peur de la prise de pouvoir par les femmes. De la stupidité faite homme, à l’image de celle des xénophobes qui redoutent « le grand remplacement » (Renaud Camus). Ils relèvent, selon les cas, du soin ou de la sanction, parfois des deux.

J’ai évoqué la générosité des femmes à mon égard: ce sont elles, au fil des années, qui m’ont guéri de cette vision asymétrique des relations femme-homme, sur tous les plans, qui m’ont appris à considérer chacune comme mon égale, sur tous les plans, qui m’ont enseigné le respect dû à chaque humain, sur tous les plans. Je crois n’avoir jamais manqué à la décence, encore moins à l’honneur mais je vous dois, vous les femmes, d’avoir compris l’immense dignité qui préside à l’expression du refus, tout comme de l’acceptation, et  plus encore de l’invite. Je ne saurais trouver les mots pour exprimer la gratitude que je dois aux femmes qui m’ont donné la vie, sauvé la vie ( ma mère), appris la vie (elle et quelques autres). Il n’y a nul mea culpa dans ce texte,   mais le dessin d’un parcours humain. Né, je le répète, il y a plus de trois quarts de siècle, j’ai vécu avec mon temps, encore que mon caractère rebelle se soit toujours insurgé contre les limites imposées aux libertés, contre les injustices et les inégalités. Encore fallait-il en prendre conscience, le cycle des habitudes est le pire ennemi de la lucidité. Et l’infériorité imposée à la condition féminine , les privilèges inhérents à la condition masculine, étaient  de ces habitudes qu’il a fallu apprendre à déceler et identifier comme telles. Des grandes figures historiques, toutes descendantes d’Antigone (Olympe de Gouges, George Sand, Louise Michel, Marie Curie) , des mouvements comme les suffragettes britanniques, le women’s lib américain, les « pétroleuses » françaises, les féministes du monde entier jusqu’aux plus actuelles (Rosa Parks, Simone Veil, Elisabeth Badinter, Sylviane Agacinski…) m’ont tellement soutenu dans mon évolution. Les leçons reçues de ces femmes ont profondément modifié ma compréhension du monde, nourri ma réflexion sur l’égalité, enrichi l’évidence de toutes les formes de respect que chacun doit au féminin. Le XXème siècle est celui où de puissants mouvements, sociaux, politiques, intellectuels permirent d’arracher de nouveaux droits, d’imposer des réformes législatives, et par exemple de promulguer la Déclaration pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (ONU, 1993). Et aussi toutes les femmes que ma vie (professionnelle, personnelle, sociale) m’a conduit à rencontrer, avec qui j’ai pu partager des idées ou des émotions ont par petites touches continué à modifier ce qui devait l’être. J’ai aussi peu à peu compris que les femmes des générations qui m’ont précédé ont subi, peu ou prou, une forme de maltraitance masculine, et qu’en dépit de leur forte résilience forgée depuis des siècles, elles n’ont pas toujours eu leur part de bonheur ou le droit d’accéder au destin qu’elles souhaitaient. La prise de conscience des inconduites des hommes de ce passé renforce naturellement ma détermination à être solidaire des femmes dans ce mouvement révolutionnaire dont elles revendiquent l’initiative et la responsabilité.

Je mesure que ce texte n’a pas le caractère organisé qui préside habituellement à mes exercices d’écriture. Car il ne théorise pas, il ne démontre pas, il témoigne d’un cheminement, d’un parcours. Il veut illustrer, sur près de huit décennies,  la distance qui sépare les émotions et les comportements d’un adolescent de ceux d’un jeune adulte, les affects et les manières d’un homme de la maturité de celles du même à l’automne puis à l’hiver de sa vie. Relisant ces lignes je n’éprouve ni regret ni nostalgie de ce qu’elles révèlent de moi et des mondes que j’ai connu. Il faut dire les choses, avec sincérité et tact, même si elles embarrassent, surtout si elles troublent. Camus encore: « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

Des femmes: quelques réflexions sur le respect, le désir et l’ordre moral

1° Les viols et les agressions sexuelles sont des crimes, les harcèlements sexuels des délits, juridiquement et humainement. Le code pénal les définit et prescrit les peines encourues. Il n’y a aucun débat possible la dessus, à l’exception d’une souhaitable aggravation des sanctions.

2° La condition féminine, de tout temps et jusqu’à aujourd’hui, est largement soumise aux lois, circulaires, réglementations, habitudes édictées par les hommes, dans tous les secteurs de la vie humaine, quelles que soient les tentatives pour instaurer davantage d’égalité et de parité. Cela est vrai aussi dans le domaine de la sexualité (comportement, usage, fantasme).

3° L’affaire Weinstein, divulgation publique de harcèlements et d’agressions sexuelles, révélée en octobre 2017 par le New York Times et le New Yorker, déclenche un mouvement de libération de la parole des femmes, dans le monde entier, dont les vecteurs les plus connus sont les sites: « #balancetonporc » et « #metoo ». Cette explosion de paroles libérées doit être saluée et entendue. Le véritable et nécessaire tsunami qui inonde les réseaux sociaux entraine à son tour des débats souhaitables, intenses, parfois emportés et passionnés, qui révèlent des oppositions portant essentiellement:

a) sur le désir, ses manifestations légales ou pas, licites ou pas, acceptables ou pas ;

b) le statut fait aux femmes, pour et contre les droits des femmes, par les hommes mais aussi par les femmes, dans nos sociétés;

c) le danger d’une dérive progressive vers une censure puritaine, rigoriste et régressive , un nouvel ordre moral.

4° Dans ces contextes le quotidien Le Monde publie, le 10 janvier dernier, une tribune rédigée par Sarah Chiche, Catherine Millet, Catherine Robbe-Grillet, Peggy Sastre et Abnousse Shalami, et signée par un collectif de plus de cent femmes dont Catherine Deneuve, Brigitte Lahaie, Elisabeth Lévy, Joëlle Losfeld…, réponse polémique à la nouvelle pensée dominante, parfois maladroitement formulée mais qui a le mérite de faire entendre une autre voix, respectable aussi. En effet les signataires regrettent que la vague actuelle ne transforme les femmes en êtres à part, « éternelles victimes », réduites à l’état de « proies » à protéger, redoutent que la délation généralisée ne trahisse une » haine des hommes », voire une peur de la sexualité, récusent l’irruption dans la vie publique de « procureurs autoproclamés » de la vie intime des femmes et des hommes. Il faut entendre ces femmes même si elles   proposent quelques formulations inconsidérées, telles: « la liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », le frotteur du métro  « même si cela est considéré comme un délit(….) expression d’une grande misère sexuelle », et surtout « les accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme n’atteignent pas nécessairement sa dignité ». Le surlendemain Catherine Deneuve précise que « rien dans le texte ne prétend que le harcèlement a du bon », rappelle qu’elle fut une des signataires du manifeste des « 343 salopes », récuse le soutien stratégique des « conservateurs, racistes et traditionalistes de tout poil » et finalement « salue fraternellement toutes les victimes d’actes odieux qui ont pu se sentir agressées par cette tribune parue dans Le Monde, c’est à elles, et à elles seules que (je) présente mes excuses ». Je dois rappeler qu’en effet la tribune avait entrainé des commentaires assez durs tels: « L’absence de solidarité des femmes signataires de cette tribune me sidère » (Michelle Perrot),  « Mesdames ne confondez pas les jeux de rôle de salon avec la vie réelle » (Michèle Riot-Sarcey, « expression d’un antiféminisme » (Christine Bard), « la troisième vague du féminisme est tout sauf conservatrice ou puritaine » (Léa Clermont-Dion).

5° Et donc le désir

Le désir est consubstantiel à la nature humaine, dans les deux sexes, traduisant soit une attirance amoureuse pour la personne aimée, soit plus pulsionnellement un besoin physiologique pour obtenir du partenaire convoité la satisfaction de cette exigence biologique. Entre l’amour courtois , tentative du chevalier pour séduire une femme aimée sans l’offenser en lui dédiant des poésies (elle est suzeraine, il est vassal), et le besoin d’accouplement des mammifères, dont l’homme, en état d’excitation sexuelle qui recherchent et imposent, éventuellement par la force, la satisfaction primitive, il y a l’immensité océanique séparant un être civilisé de coeur et de raison de la brute grossière et violente.

Mais entre ces deux extrémités du spectre se situent  tous les humains, et chacun dans le parcours de sa vie, cette infinitude de femmes et d’hommes qui cherchent malaisément leurs chemins selon l’éducation qu’ils ont reçu, les codes sociaux de leur environnement, les valeurs qu’ils ont adopté et le contrôle qu’ils exercent sur leurs instincts. Dans la conversation de la séduction quoi de plus aimable que la courtoisie, la galanterie, le marivaudage, le badinage voire la coquetterie? Mais où se situe le point qui sépare, dans les  échanges  amoureux, ces civilités du harcèlement, ou, bien pire, de l’agression? La réponse serait dans le consentement.

Bien évidemment tous les jeux amoureux ont leur charme, à condition qu’ils soient consentis. Mais quelle est la signification de ce consentement, qu’en est-il de son immédiateté, de sa sincérité, de sa spontanéité? Lors des premières expériences n’est-il pas d’usage qu’à une certaine retenue soit opposée une douce insistance pour la première fois? Mais est-ce encore entendable avec des sites de triage et de rencontre comme Tinder? Par ailleurs j »entends dans mon cabinet d’analyste tant de femmes, inscrites dans une relation au long cours, m’expliquer que bien sûr elles consentent sans pour autant éprouver le moindre désir ( ne parlons pas du plaisir); d’autres prendre conscience de la maitrise psychique (parfois l’emprise) que leur partenaire exerce sur elle et qui ne les laisse pas libre de refuser (le fameux « devoir conjugal », comme l’expression familière « passer à la casserole » disent assez de quel coté sont le pouvoir et la domination).

Sur un autre plan il y a  un risque de judiciarisation des rapports sexuels qui pourraient être qualifiés, à tort ou à raison, de « viols » si la preuve du consentement n’a pas été enregistrée au préalable. Des sites existent déjà aux Etats Unis pour cela: ainsi le site Légal Fling « relation sexuelle encadrée » permet d’authentifier les consentements sexuels en utilisant la Blockchain, l’un des partenaires demandant par SMS son consentement à l’autre, et éventuellement ses préférences sexuelles, l’usage de préservatif, le recours à des photos ou des vidéos, l’absence de pathologies transmissibles , l’acceptation du sado masochisme ou autres jeux pervers. L’ échange des SMS de demande et de consentement peut se dérouler dans le lit où les amoureux se retrouvent. L’acquiescement  du partenaire est requise à chaque étape, et à chaque reprise….Tout cela est infiniment romantique et transforme un des actes les plus naturels, et les plus beaux, en une procédure de contractualisation au motif de protéger les femmes. Le fameux et détestable principe de précaution n’est pas loin. Et cette dérive s’inscrit dans une forme d’hygiénisme mental qui, dans ce même pays, déconseille aux amoureux de se tenir par le main dans les lieux publics, suggère aux hommes de ne pas prendre un ascenseur avec une femme seule, mais autorise son président à dire « qu’on doit les prendre par la chatte »,  ses citoyens à boire de l’alcool dans la rue à condition que la bouteille soit dissimulée par un sac en papier ou à acheter sans contrôle des armes de guerre. Ainsi l’hypocrisie et la pudibonderie, à l’heure de la libération sexuelle, se sont-elles substituées à l’éthique des comportements et du consentement naturel.

De telles pratiques marchandes se sont développées dans le cadre de la révolution des moeurs: la libération des sexualités a mis fin à des siècles d’interdits, souvent religieux mais aussi socio- économiques qui incarcéraient la vie amoureuse, principalement des femmes et interdisaient les pratiques autres qu’hétérosexuelles. La fin de cette chape de plomb et l’avénement de la liberté et de la responsabilité individuelle furent d’immenses bonheurs. Mais très rapidement la marchandisation libérale dénature ces libertés en créant certains sites de rencontres permettant la multiplication des expériences après triage dans la multiplicité des possibles, soit une forme d' »ubérisation » des rapports amoureux. Des idylles éphémères d’autrefois au coup d’un soir, des béguins provisoires au plan sexe à répétition, le pulsionnel l’emporte sur le passionnel, la transaction commerciale sur le partage affectif, la satisfaction d’un besoin hormonal sur  l’espoir d’une rencontre humaine. Ainsi le principe de plaisir et celui du « tout, tout de suite » triomphent, comme au temps de l’adolescence.

Il n’est pas inutile, en ce point, d’évoquer le mythe du devin Tirésias, pour se souvenir que ces questions sont aussi anciennes que l’humanité. Au sommet de l’Olympe, la déesse Héra supportait mal la frénésie sexuelle et polygamique de son époux Zeus; à ses reproches il rétorqua que son comportement était parfaitement naturel car le plaisir féminin l’emportait sur le masculin. Tirésias qui, dans sa vie antérieure avait connu les deux conditions féminine et masculine, fut donc consulté par le couple divin. Il assura sans hésiter que si la jouissance d’amour était composée de dix parties, neuf revenaient à la femme et une seule à l’homme. Héra, furieuse de voir ainsi révélé le secret de son sexe frappa aussitôt Tirésias de cécité et Zeus, non sans humour, lui conféra le don de prophétie.

Les plus récents travaux des sexologues, qu’ils soient biologistes, cognitivistes ou psychanalystes ne contredisent pas  l’affirmation du devin. L’orgasme féminin, vécu au plus profond de son corps vaginal et clitoridien dévoile une intime et intense déflagration qui implique la totalité physique de sa personne, dans un moment acméïque de dépersonnalisation et de perte de contact avec la réalité. Le plaisir masculin, lui, se déroule à l’extérieur de son enveloppe charnelle même si la jouissance éjaculatoire se diffuse dans le corps entier. Dans les sociétés occidentales les sexologues évaluent à une sur deux les femmes accédant véritablement à l’orgasme alors que le plus grand nombre des hommes connait le plaisir (qui n’est pas l’orgasme). Et je ne suis pas loin de penser que cette extraordinaire puissance orgasmique des femmes est à l’origine de la peur qu’elles inspirent aux hommes et de leur propension à les dominer, faute de pouvoir les égaler.

Plus que des contrats précisant étape par étape le consentement et les comportements des amants potentiels, une nouvelle révolution permettrait de protéger les femmes des abus, les hommes des soupçons et la guerre des sexes de la perpétuité. Elle est aussi simple à énoncer que difficile à réaliser. Il suffirait que les hommes identifient, reconnaissent et acceptent leur part de féminité et les femmes celle de leur masculinité, dans leur vie psychique, corporelle, comportementale. Ainsi les hommes prédateurs ou les hommes à sexualité sérielle pourraient-ils comprendre que par ce comportement ils veulent apaiser des anxiétés sur leur propre virilité en niant leur part de féminité, et les femmes nymphomanes ou les femmes phalliques que leur identité féminine les inquiète inconsciemment mais profondément.  Pour cela un immense travail éducatif des familles et des institutions est nécessaire, en commençant par les acteurs de ce changement révolutionnaire. Dans certains de leurs excès, aujourd’hui dépassés, les études de genre, si novatrices par ailleurs, n’ont pas toujours favorisé cette mutation inédite et subversive.

La libération sexuelle du dernier demi siècle aurait donc du faire progresser la cause des femmes. Il n’en fut rien, ou à peu près, car libérer la sexualité sans attaquer le pouvoir politique et économique des hommes, dans un monde dominé par le libéralisme, met les femmes en position de vulnérabilité au sein d’un marché sexuel dérégulé.

6° Et donc le statut socio économique des femmes

Je serai plus rapide dans cette section qui n’entre pas dans mon domaine de compétences. Toutefois il est évident pour moi que depuis l’époque lointaine des chasseurs cueilleurs nomades, puis agriculteurs éleveurs sédentarisés, la femme a toujours été au service de l’homme, pire sous l’emprise de l’homme.

Mais comme le remarque brillamment la sociologue Eva Illouz la domination des hommes sur les femmes veut démonter l’infériorité d’un groupe qui doit apporter ses services à l’autre. Toutefois les femmes ne sont pas un groupe cohérent et homogène comme les « noirs » ou les « jaunes ». Les hommes sont des fils, des compagnons, des pères de femmes, à chaque fois : leurs mères, compagnes, filles avec lesquelles les relations ne peuvent pas être simplement et uniquement d’exploitation. Et les relations d’affection rendent involontairement les femmes en partie complices de la domination qu’elles subissent, ce que La Boétie, dans le champ politique, nomme la servitude volontaire. Un telle intrication des relations (de genre, un groupe versus un autre, mais aussi de parenté ou de proximité entre des membres des deux groupes) rend aussi difficile la lutte d’émancipation que la construction d’un mouvement  de libération des femmes. Je comprends qu’elles saisissent les occasions de scandales planétaires, comme actuellement, pour progresser dans la satisfaction de leurs justes revendications.

Les anthropologues proposent une lecture, à mon sens pertinente, illustrée par le concept d' »échange économico-sexuel »( Paola Tabet). Selon elle, là où les hommes détiennent la puissance économique, la sexualité apparait comme la seule monnaie d’échange. La prostitution, bien sûr. Mais aussi le mariage traditionnel leur conférant un statut économique et social (encore que la dot…). Dans notre culture le mariage, assurant à la fois la reproduction et la transmission du patrimoine, permettait de joindre les émotions, la sexualité et la conservation de l’espèce. L’injonction morale tenait lieu de consentement ou de refus.

La révolution sexuelle d’il y a un demi siècle ouvre sans limite l’étendue des possibles en matière d’échanges sexuels, et tout est désormais possible sous condition du consentement. La sexualité est « libérée » mais les rapports de force socio économiques n’ont pas changé (ou si peu, par exemple dans la différence des salaires homme-femme). Les femmes demeurent donc, au sein de ce marché sexuel sans limite ni régulation, en situation de fragilité. Et si elles ont conquis de nouveaux droits (désanctification de la virginité, contraception (mais uniquement féminine), interruption volontaire de grossesse et autres avancées technologiques en cours concernant la procréation) une longue marche  nous attend pour aller vers la parité totale. Je dis nous car je pense non pas que nous (les hommes) devrions aider les femmes (qui sont suffisamment capables par elles mêmes) mais que la moitié du parcours nous revient.

7° Les dangers d’un nouvel ordre moral

Au motif supposé du respect dû à l’image de la femme chaque jour apporte son lot de censures, ou pire d’autocensures, stupides. Le metteur en scène de Carmen, à Florence, travestit et trahit Mérimée et Bizet en inversant l’épilogue: c’est Carmen qui tue Don José! Un conservateur retire d’une exposition un tableau de Balthus, un autre un nu de Schiele. A quand le retrait de « l’origine du monde » de Gustave Courbet du Musée d’Orsay?(il est vrai que Jacques Lacan, qui en fut le propriétaire, le dissimulait derrière une peinture de Miro). La bien pensance est désormais partout: le plus grand éditeur français renonce à publier les trois pamphlets de Céline (« Bagatelles pour un massacre », « L’école des cadavres », « Les beaux draps ») alors que l’on peut les trouver sur internet car édités au Québec. Ces écrits sont d’immondes saloperies, mais leur auteur, cette ordure, demeure, malgré tout, un grand écrivain. Les éditeurs de Madame Bovary et des Fleurs du mal surent, eux, braver l’opinion, Flaubert fut acquitté, mais Baudelaire y perdit ses droits civiques. Euripide pourrait-il publier « Médée », mère infanticide, et Choderlos de Laclos décrire le personnage de Madame de Merteuil dans « Les liaisons dangereuses »? Polanski privé d’un colloque, bientôt Woody Allen? Qui oserait faire un « Rabbi Jacob » aujourd’hui?

Le monde du capitalisme-libéralisme impose ses codes, pour protéger ses positions. Il n’aime pas le désordre, ni le changement, il faut « que tout change pour que rien ne change » comme l’exprime si clairement Lampedusa face à un monde en profonde mutation. Dans le domaine socio-économique, les puissances d’argent incluant les organisations maffieuses, au moins autant que les empires militaires, à l’échelle planétaire, dictent les lois de la plus grande plus value qui nécessitent  le moins de conflits visibles, dans tous les domaines. Il faut donc abraser le moindre élément qui échappe au politiquement correct ou au culturellement correct. Les libertés formelles sont apparemment respectées à condition que les libertés créatrices soient contenues, interdites d’inventions subversives, empêchées de produire du désordre.

Une forme d’ordre moral s’impose chez nous, charroyé par le principe de précaution, et conforté par la multiplication des actes de censure. Cette morale victorienne m’insupporte quand nous laissons des migrants se noyer dans nos mers ou être congelés dans nos montagnes ou nos camions. L’intégrisme religieux n’est pas la propriété exclusive des musulmans quand notre société française devient hystérique contre le mariage pour tous. La pudibonderie, la pruderie et l’austérité morale sont des masques hypocrites qui visent à museler les forces nouvelles de la création et de la culture, autant d’entraves vers cet univers nouveau, nivelé, muselé, retardé où les puissants peuvent jouer entre eux sans que le vulgum pecus ne se mêle de ce qui ne le regarde pas.

Mais prenons garde: après avoir calibré les univers sociaux, économiques, éducatifs, sanitaires, judiciaires, culturels ce nouveau monde installera insidieusement une démocrature qui ne respectera les libertés formelles qu’en apparence. Prenons garde aussi à ce que certaines expressions excessives des luttes en cours dénonçant la servitude des femmes ne servent de caution involontaire à la mise en place de ce nouvel ordre moral.

Je l’affirme encore avant d’achever ce papier, et ce dernier paragraphe est essentiel: je soutiens de toutes mes forces et de tout mon coeur les luttes pour la libération des femmes contre les viols, les agressions sexuelles de toute nature, les violences, les harcèlements, les dominations politique, économique, sociale, culturelle, sportive…. Ce combat est pour moi sacré, certes en pensant à mes filles, mais aussi parce que de toute ma vie j’ai refusé de subir et aussi voulu ne pas faire subir.

Romain Gary et le complexe d’Oedipe

Relisant ces jours ci  « La promesse de l’aube » le si merveilleux roman autobiographique de Roman Kacew, alias Gary, j’ai retrouvé le passage suivant qui irritera les psychanalystes orthodoxes et amusera tous les autres. Je ne résiste pas, en ce premier jour de la nouvelle année, au plaisir de l’offrir à mes chers lecteurs.

« ….Le moment est peut-être venu de m’expliquer sur un point délicat, au risque de choquer et de décevoir quelques-uns de mes lecteurs et de passer pour un fils dénaturé auprès des tenants des écoles psychanalytiques en vogue: je n’ai jamais eu, pour ma mère, de penchant incestueux. Je sais que ce refus de regarder les choses en face fera immédiatement sourire les avertis et que nul ne peut se porter garant de son subconscient. Je m’empresse d’ajouter que même le béotien que je suis s’incline, respectueusement, devant le complexe d’Oedipe, dont la découverte et l’illustration honorent l’Occident et constituent certainement, avec le pétrole du Sahara, une des exploitations les plus fécondes des richesses naturelles de notre sous-sol. Je dirai plus: conscient de mes origines quelque peu asiatiques, et pour me montrer digne de la communauté occidentale évoluée qui m’avait si générale creusement accueilli, je me suis fréquemment efforcé d’évoquer l’image de ma mère sous un angle libidineux, afin de libérer mon complexe, dont je ne me permettais pas de douter, l’exposer à la pleine lumière culturelle et, d’une manière générale, prouver que je n’avais pas froid aux yeux et que lorsqu’il s’agissait de tenir son rang parmi nos éclaireurs spirituels, la civilisation atlantique pouvait compter sur moi jusqu’au bout.. ce fut sans succès. Et pourtant, je compte surement,  du coté de mes ancêtres tartares, des hommes de selle rapides, qui n’ont du trembler, si leur réputation est justifiée, ni devant le viol, ni devant l’inceste, ni devant aucun autre de nos illustres tabous. Là encore, sans vouloir me chercher des excuses, je crois cependant pouvoir m’expliquer. S’il est vrai que je ne suis jamais parvenu à désirer physiquement ma mère, ce ne fut pas tellement en raison de ce lien de sang qui nous unissait, mais plutôt parce qu’elle était une personne déjà âgée, et que, chez moi, l’acte sexuel a toujours été lié à une certaine condition de jeunesse et de fraicheur physique.. Mon sang oriental m’a même toujours rendu, je l’avoue, particulièrement sensible à la tendresse de l’âge et, avec le passage des années, ce penchant, je regrette de le dire, n’a fait que s’accentuer en moi, règle presque générale, me dit-on, chez les Satrapes de l’Asie. Je ne crois donc avoir éprouvé à l’égard de ma mère, que je n’ai jamais vraiment connue jeune, que des sentiments platoniques et affectueux. Pas plus bête qu’un autre, je sais qu’une telle affirmation de manquera pas d’être interprétée comme il se doit, c’est à dire, à l’envers, par ces frétillants parasites suceurs de l’âme que sont les trois quarts de nos psychothérapeutes actuellement en plongée. Ils m’ont bien expliqué, ces subtils, que si, par exemple, vous recherchez trop les femmes, c’est que vous êtes, en réalité, un homosexuel en fuite; si le contact intime du corps masculin vous repousse,_ avouerai-je que c’est mon cas?_ c’est que vous êtes un tout petit peu amateur sur les bords. (….)La psychanalyse prend aujourd’hui, comme toutes nos idées, une forme aberrante totalitaire; elle cherche à nous enfermer dans le carcan de ses propres perversions. Elle a occupé le terrain laissé libre par les superstitions, se voile habilement dans un jargon de sémantique qui fabrique ses propres éléments d’analyse…. »

Ce roman publié en 1960 dit bien les controverses de l’époque et, peut-être, les contradictions de son auteur. Mais les pensées paradoxales nous enrichissent toujours. En cette matière, comme dans toutes les autres, refusons « la servitude volontaire » à la pensée dominante.

Vichy frappe à la porte, encore.

J’ai vu ce soir le visage grimaçant qui m’inquiétait, enfant, parce qu’il était celui entrevu, de loin, de ma clandestinité, ou fantasmé et redouté par moi, pendant la guerre ou après quand venaient à mes oreilles les récits pourtant très rares de celles et ceux qui avaient échappé aux milices de Vichy et/ou aux hordes hitlériennes, ou plus tard encore les images du cinéma qui racontaient cette guerre. Ce sourire sardonique, ces simagrées parfois doucereuses, souvent déchainées, la vulgarité des invectives, la grossièreté des interpellations, avec le ton mielleux de circonstance, ces expressions caricaturales vues ce soir me poursuivront longtemps. A l’époque le plus souvent dans cette obscurité il n’y avait pas de sourire, certes, sauf dans des conversations entre collabos qui se croyaient tout permis, mais plutôt le mufle hideux de la force de destruction sans loi ni limite, et la jouissance sadique de ceux qui la détenaient.

J’ai entendu ce soir la voix grasseyante, parfois provocante, souvent allusive, toujours mensongère avec laquelle la radio de « l’État Français », collaborationniste, répandait ses contrevérités, ses menaces et ses dénonciations dans les années noires. La pratique délibérée, méthodique, illimitée des insinuations, des ricanements, des invectives, des éructations, ce soir, me rappelle le Radio Paris de l’occupation et aussi, heureusement, le message de Londres: « Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ». Aujourd’hui la République française est la plus proche alliée de la République fédérale d’Allemagne et les forces  réactionnaires et stupidement nationalistes du Front National entrent en  guerre contre cette alliance. Encore une fois ils n’ont rien compris et rêvent furieusement d’un monde à l’envers.

Mais ce soir il y avait plus: à la télévision la candidate du passé et de la honte devait faire bonne figure, ou du moins essayer. D’où les sourires forcés, la pose attentive, les chapelets de phrases bien préparées, apprises et débitées avec l’aide des fiches. Mais la pulsion rattrapait très vite ces velléités de contrôle et les attaques fusaient, tous azimuts, sans rapport évident avec le sujet traité, les agressions personnelles réitérées permettant d’esquiver les demandes de précision sur un éventuel programme. Une réthorique de la haine: peu importe la vérité, il s’agit de jeter le trouble et la confusion. Dans le regard parfois une flamme (pas une lumière) apparaissait, dès qu’il était question de migrants et d’islam. S’épanouissait alors, comme libéré, le terrible sourire de la haine du procureur qui réclame la condamnation ou du bourreau qui l’exécute. Et bien sur de programmer, avec le sourire avenant d’un mirador, la construction de 40 000 places de prison. Dans ces moments transparaissait le spectacle d’une excitation maladive, la transpiration de la violence et le plaisir assumé de la destruction.

En cette nuit remontent les souvenirs, les mauvais souvenirs que, depuis toujours, je m’efforce d’éloigner. Il faut vivre devant. Mais précisément les souvenirs infiltrent les avenirs. Et si par malheur, par « négligence » ou par « inadvertance » la famille Le Pen et sa clique de vichystes, collabos plus sadiques que leurs maitres à l’époque,  accèdent au pouvoir dimanche? N’oublions pas Trump, n’oublions pas le « Brexit ». Et ils sont déjà plus de 8 millions, un quart des suffrages (en comptant le ralliement d’un candidat se prétendant gaulliste). L’extrême droite revancharde attend ce moment depuis trois quart de siècle.

À celles et ceux qui croient de bonne ou grande politique de pratiquer le ni ni, de mettre sur un même plan un candidat républicain et cette monstruosité de l’histoire qui refait surface, ou qui ne souhaitent pas se déplacer, ou décident de déposer un bulletin pour le candidat « nul » ou le candidat « blanc » je dis : réveillez vous tant qu’il est temps encore, les héritiers du fascisme  frappent à la porte et s’ils entrent, ils ne laisseront jamais la place. Ne soyons pas les complices de l’assasinat de la liberté et de la vérité.

Je vous parle avec mon histoire, ma lucidité, ma volonté et d’abord avec mon coeur.