QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE CONFLIT EN COURS : INVASION DE L’UKRAINE
Le jeudi 24 février 2022, 22 heures
1° Sur le plan historique
De Pierre le Grand à Nicolas II, de Lénine à Staline puis à Poutine (avec la notable parenthèse de Gorbatchev), donc des tsars impériaux aux dictateurs autocrates, la grande Russie a toujours poursuivi deux grands objectifs :
-l’accès aux ports pour sa flotte :
le golfe de Finlande au nord, la Mer d’Azov et la Mer Noire au sud, l’Océan Pacifique à l’Est. De nombreux conflits ont scandé ces conquêtes : avec les suédois et les pays baltes au nord, l’empire ottoman et la Crimée au sud, iles Sakhaline et pays asiatiques à l’est.
-le maintien d’un glacis de protection terrestre en Europe centrale :
La dissolution de l’URSS, vécue comme une humiliation, n’a jamais été acceptée par le Kremlin . D’où les annexions successives d’une partie de la Géorgie (Ossétie du sud et Abkhasie), de l’Ukraine (la Crimée) dès que les dirigeants de ces pays manifestèrent des velléités de tourner leurs regards vers l’Occident. L’histoire se répète avec le Dombass (grand comme deux fois la Belgique) où deux provinces, Donetks et Louhansk, largement russophones, s’autoproclament indépendantes. La Fédération de Russie, après des simulacres et des mensonges pseudo diplomatiques, l’envahit et les reconnait comme telles. Je ne sais, à cette heure, jusqu’où ira l’opération en cours mais d’ores et déjà il s’agit d’une violation des règles régissant les relations entre états, je nomme cela un crime commis par un autocrate, gouvernant solitaire, et terrorisant tous les dignitaires qui l’entourent au sommet de l’état (séquence télévisée de leur « consultation » imposée, inoubliable ).
Précision essentielle sur tout ce qui précède : expliquer n’est pas excuser, comprendre n’est pas justifier.
2° Sur la signification profonde
Mais l’histoire ne fait pas que se répéter, elle bégaye aussi : tous ces conflits n’ont pas que des racines historiques et géographiques, ils opposent aussi, peut -être surtout, deux visions du monde et de gouvernance : d’un coté les démocraties, le moins mauvais système institutionnel, et de l’autres les dictatures et leurs sous -produits: démocraties illibérales, démocratures. Ce dont Poutine a le plus peur est la contagion démocratique, lui qui, au pouvoir depuis le début des années 2000, a aménagé un système le maintenant au sommet jusqu’en 2036 (il aurait alors 84 ans). La Russie, si grandes soient sa culture et ses réalisations dans tous les domaines (histoire, littératures, musiques, arts plastiques, engagement décisif dans la deuxième guerre mondiale), a toujours nourri un complexe d’infériorité envers l’ouest de l’Europe, parfois dissimulé par des manifestations de prestance et de supériorité (l’espace, aujourd’hui le cyber espace, guerres coloniales) et aussi par d’authentiques et glorieuses démonstrations (l’héroïque seconde guerre mondiale, après la traîtrise du pacte germano- soviétique- il s’agissait chaque fois de protéger l’union soviétique et le communisme dictatorial en se rapprochant du vainqueur probable-). Mais la peur demeure, chez ce tsar autoproclamé, comme chez ses prédécesseurs de l’empire soviétique, eux- mêmes successeurs des lignées royales tsaristes où les meurtres, coups d’état étaient l’ordinaire de l’histoire.
La différence entre les démocraties (quelles que soient leurs faiblesses), et les régimes totalitaires, qu’ils soient héréditaires ou autocratiques, réside en ceci, si essentiel: dans les démocraties, le peuple choisit ses dirigeants par le scrutin universel( il lui arrive de faire des choix tragiques: Hitler, Mussolini, Pétain, Salazar, Trump, Bolsonaro, Erdogan, Orban …)Mais il est le Maître et, tôt ou tard, il rectifie ses erreurs dès lors que la démocratie est rétablie, serait- ce par la révolution. Les démocraties ne se limitent pas au suffrage universel parfois dénaturé par des techniques de fraudes et de tricherie. Elles se définissent aussi par la séparation des pouvoirs (éxécutif, législatif, judiciaire..), la liberté de réunion et celle de déplacement, et tant d’autres si bien définies par notre Déclaration des Droits de l’Homme.
Dans les régimes tyranniques, le despote est toujours à la merci d’un coup d’état, d’un changement de rapport de forces, de l’ambition d’un lieutenant. Il se méfie donc, vit dans le soupçon, l’inquiétude, l’interprétation paranoïaque du lendemain. Cette hypervigilance le conduit à des réactions répressives, souvent aveugles face à des manifestations de masse, parfois très sophistiquées avec les armes de surveillance technologique (par exemple la reconnaissance faciale, ou le cyber espionnage), parfois violentes avec l’usage des armes.
Cette attitude mentale, qui a partie liée avec la paranoïa, s’étend au-delà de la sphère du premier cercle et implique la planète entière, dès que le dictateur redoute que son espace de gouvernement, et donc son pouvoir soient menacés. La porte est alors ouverte à des réactions disproportionnées, paradoxales, dangereuses, qui traduisent la panique d’un pouvoir usé incapable de prendre la mesure de ce que l’avenir ne lui appartient plus.
Le vendredi 25 février 2O22,16 heures
Le doute n’est plus permis : Poutine envahit l’Ukraine et pas seulement le Dombass, il veut un pays et un gouvernement à sa botte, un président fantoche qui exécute servilement ses ukases et ne tolère aucune vie démocratique dans le pays. Cette offensive a été préméditée, planifiée et quasiment revendiquée. Il est l’unique responsable du retour de la guerre en Europe, et menace « quiconque entend se mettre sur notre chemin » de rien moins que du feu nucléaire « des conséquences jamais vues dans votre histoire ». Le dysfonctionnement d’un dictateur met en danger un continent entier.
Que faire donc si l’option militaire n’est pas retenue: les sanctions, à condition qu’elles soient principalement technologiques et n’affament pas le peuple russe, surement. Que les oligarques qui soutiennent Poutine mesurent le danger d’une telle complicité serait un premier pas avant une plausible défection. Armer les ukrainiens, c’est déjà probablement trop tard et revient à déléguer au peuple d’Ukraine les combats que l’occident ne veut pas assumer, avec raison. Toutefois, les laisser désarmés face à la deuxième armée du monde serait une lâcheté encore plus insupportable et un redoutable aveu de faiblesse, ouvrant la porte à d’autres invasions, partout dans le monde. Un bon compromis serait de leur fournir massivement des armes défensives, voire létales si nécessaire. Par ailleurs, pour contenir les pulsions prédatrices du dictateur dysfonctionnel du Kremlin, il serait prudent de renforcer vigoureusement (et préventivement) les forces militaires des pays limitrophes: Pologne, Slovénie, Hongrie, Moldavie, Roumanie.
Puisque l’idée démocratique sème la panique à l’Est (et dans une minorité de nations de l’Union Européenne), soutenons vigoureusement les oppositions démocratiques dans tous les pays où elles se lèvent courageusement pour lutter contre les dictatures. Aidons ces résistants résolus, intrépides et persévérants par tous les moyens à notre disposition. Ils sont nos alliés naturels et leurs combats contribuent à la paix. La vérité est toujours victorieuse, au moins à la fin. La raison finit par l’emporter après les dérèglements désordonnés des furieux ou des stupides. La liberté ne peut se mériter que par la répétition d’actes libres de refus et d’invention nouvelles.