» Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire »
Voltaire
1° Le terrorisme, les terroristes veulent répandre la terreur. Si j’ai peur, si nous avons peur ils ont gagné. Nous n’avons pas le droit d’avoir peur, notre peur serait l’efficace complice de la terreur.
2° Donc serrer les poings, garder la tête haute, ne rien changer à nos habitudes. Il appartient aux autorités de la République de prendre les mesures de sécurité, autant qu’il est possible, dans le cadre du droit. Et d’être implacables envers les terroristes.
3° Sacraliser la liberté d’expression. Il y a bien longtemps que je suis allergique à toute censure. Aujourd’hui, avec internet et les réseaux sociaux, elle serait de surcroît ridicule car inefficace. Et donc saluer, avec une si douloureuse émotion, le courage de ces femmes et de ces hommes qui, au périls de leurs vies (tant de morts, dont un ami très cher, et de blessés aujourd’hui) soutiennent ce combat, exercent leur droit à dire et écrire ce qu’ils pensent, au risque de l’erreur, à user de l’insolence, quitte à verser dans l’excès.
4° Ne pas généraliser: ce sont des individus, peut être des groupes, voire des organisations qui ont commis ce carnage que les mots ne peuvent qualifier. Ce n’est pas un peuple, ce n’est pas une religion. Penser le contraire, accepter les amalgames est faire le jeu des terroristes. Malgré les larmes, malgré la colère, raison garder.
5° Attaquer la liberté d’expression, c’est attaquer la laïcité et donc un des fondements de la République. Face à cette tragédie tous les républicains doivent se rassembler, il n’y a aucune place pour la polémique.
6° Et ceux qui attaquent notre République et assassinent ses enfants doivent connaître que la République sait être impitoyable envers ceux qui veulent la détruire. Les terroristes n’éteindront pas la France des Lumières, notre esprit de Résistance saura protéger nos valeurs universelles. Les morts ou les blessures d’aujourd’hui doivent recevoir une réponse inflexible et sans pitié. Ni pardon, ni oubli.
Merci de ce programme sur lequel nous devons rester intraitables.
Sans lassitude, sans silence fatigué. La foule réunie ce soir Place de la République à Paris fait espérer que la France s’incarne dans la fierté de défendre un modèle, fondé sur la liberté et la laïcité. Badinter ce soir à la télévision: le geste de ces assassins est à la fois « un meurtre et un piège ».
Le piège est parfaitement circonscrit dans ce programme.
Oui, Robert Badinter a su dire clairement le piège tendu: diviser la communauté républicaine, stigmatiser une appartenance à partir d’un crime abject. C’est le but de nos ennemis. Déjouons- le et soyons impavides dans ce combat en demeurant fidèles à nos valeurs d’universalité de la condition humaine.
Il va falloir aussi dire non à toute récupération politique, aux manoeuvres électoralistes qui n’ont cessé de laminer le moral des français, vidant de leur substance les piliers de la démocratie républicaine – liberté, égalité, fraternité – pour les transformer en une bouillie bien pensante et désincarnée. Une bouillie dont les grumeaux sont la montée des intégrismes et des communautarismes incultes et décervelés, la main mise de la technocratie « présentiste » sur les décisions collectives et l’ivresse d’une technologie rémunératrice et idéologique .La maladie de notre société met la vie humaine et donc le corps des hommes en pâture à quelques inconsolables égarés. Les pièges tendus par ces actes terroristes sont nombreux, insidieux , ils s’adressent non seulement à la liberté de nos comportements mais à la fraîcheur de notre parole, à notre intime rapport à la vie et à l’avenir. Mais c’est ainsi que notre conscience va rester en alerte ou se réveiller, en finesse, en profondeur, pour soi, collectivement et souhaitons-le pour longtemps.
Je vous remercie pour ces réflexions lucides et déterminées.
Trois jours ont passé depuis votre article Henri. Alors, je désire ajouter des mots que vous ne pouviez écrire alors. Maintenant mes pensées les plus désespérées se dirigent aussi vers Yoav Hattab, Philippe Braham, Yohan Cohen et François-Michel Saada dont le seul crime fut d’avoir voulu acheter des bonnes choses dans une superette Cacher. Nous en sommes à l’émotion, mais il faudra bien en venir à l’analyse politique sinon le piège se refermera sur tous. Les bourgeons du printemps ne s’ouvriront pas.
Je souhaite au professeur Henri Sztulman, une heureuse année 2015 ainsi qu’à ses lecteurs et lectrices. Bonne fin d’hiver et que le printemps advienne ! MJA
Merci de vos voeux , je souhaite au monde entier d’épouser l’idée que la vie est bien plus un art subtil qu’un combat, plus une féconde incertitude que des stériles convictions, l’idée que vivre ensemble c’est ressentir l’humain, dans son corps , son coeur, c’est se défier de l’arrogance de l’intellect , « assassin du réel « ( Lao tseu… ) pour s’ouvrir à une pensée complexe, inclusive et non exclusive , qui ne divise, ni ne sépare, ni ne catégorise. Mais qui éclaire comme l’océan au matin, comme ces salves d’applaudissements, aujourd’hui à Toulouse, dans ce cortège de plus de cent mille personnes en marche pour la liberté, en ondes sonores , plus fortes que les mots , marsouinant sur nos émotions . Des sons plus surs que nos paroles, plus humains que nos théories, venus du loin des corps , pour un unisson que l’harmonie sonore est seule à pouvoir restituer. Loin , si loin des théories ….
Plus le temps passe , plus je comprends que nous sommes face au danger suivant : il y a des billes colorées sur la table, et chacun joue avec. Chacun de son point de vue les regroupe dans tel ou tel sac pour gagner la partie … Et dans ce regroupement spontané ou tactique et toujours éphémère, il y a sans cesse prise de pouvoir et leçon de morale sur l’autre . Alors que nous avons à mettre en perspective des mondes différents aux paradigmes totalement distincts, fondés sur des conceptions du temps ( circulaire ou linéaire ) ou de l’espace ( à conquérir ou à partager ), issues d’un parcours historique lié à une différence géographique, et que nous avons à le faire dans un mouvement de compréhension réciproque large et lucide , nous nous heurtons à la mise dans le même sac , ici et maintenant, de telle ou telle micro-correspondance. Ceci pour se rassurer, se consoler ou laisse sa colère s’écouler. Résultat , nous nous catégorisons les uns les autres, nous faisons pencher la balance du côté de l’oppresseur ou de l’opprimé, chacun pouvant devenir l’autre quand il est interrogé sur son propre territoire. Les joueurs de bille continuent à s’amuser , tandis que les « responsabilités » sont transférées sur les éducateurs, le « peuple », les politiques, les religieux, etc… Les joueurs ( ceux qui ont le pouvoir médiatique ) continuent, ils me font penser aux traders qui spéculent habilement sur telle ou telle inversion des courbes à force de dire qu’elles vont le faire.. S’attacher à une définition claire de notre conception du temps ( ascendant et vers le progrès ) et de l’espace ( à partager ) et donc , sur notre territoire, exclusivement , ne pas accepter d’autre règle est d’évidence. Les autres questions suivront, non ?
Bonsoir Béatrice, tout à fait d’accord avec vous pour accueillir, comme vous l’expliquez si bien, une « pensée complexe » par laquelle nous puissions nous mettre en situation d’empathie.
Pour autant, je redoute parfois, à titre personnel, que la pensée complexe et l’effort d’empathie nous inhibe quelquefois dans nos sociétés contemporaines.
Au-delà d’un certain seuil, nous devons nous aussi nous placer sur le terrain de l’action.
Et compte tenu du contexte, je voudrais juste citer une phrase de Karl Rahner, philosophe et écrivain jésuite allemand, qui me semble juste :
« […] parce que l’homme est et demeure un dans toute la pluralité de ses connaissances, de ses impulsions et des situations dans lesquelles il se trouve, pluralité insurmontable et qui ne peut être adéquatement intégrée […]
Vraie question en effet : l’effort d’empathie et l’ouverture à la complexité sont des adaptations presque « reflexes » de vie/survie psychique dans un monde saturé d’informations. Et, nous sommes tous, peu ou prou, des Ariane dans ce Labyrinthe codé et hyper-mediatisé, dès que nous voulons penser notre position face aux tragédies de l’Histoire . Un peu tâtonnants, aux aguêts, nous tentons de conserver l’esprit de décision et le sens de l’action qui semblent dilués dans la profusion des récits par notre propre plasticité. Mais ce n’est qu’une fausse perception.
Au fond, je crois que , quelque soit l’intentionnalité de nos actions , des motivations supérieures entrent en jeu dès que les valeurs en lesquelles nous croyons sont piétinées . Je pense que ces valeurs ,orientées pour la majorité vers un mieux être et mieux vivre ensemble (l’Ethique selon Aristote ), sont indexées par le produit de notre mémoire collective et de notre mémoire individuelle. Aussi réagissons-nous différemment les uns des autres ; les chérissant plus ou moins. Croire en nos valeurs participe selon moi de notre aspiration au sacré, pour échapper à notre condition de mortels, pour nous donner « le sentiment d’être » . Quand leurs repères sont altérés, ce qui s’impose , qui advient alors, c’est l’action . L’action pour retrouver le sentiment d’être, pour accélérer la remise en place des repères , pour re-vivre, quitte à en mourir. Nous pensons prendre des décisions rationnelles , mais en réalité Agir /Intervenir devient plus fort que nous pour peu qu’on ait éprouvé la perte de ces valeurs ou le danger que cela serait, à titre individuel et collectif.. Cela vaut pour nos valeurs républicaines dont la liberté est le socle, mais cela vaut aussi pour d’autres systèmes de pensées dévoyées…
L’action est pour moi le moteur de la vie , pas le choix !
Chère Béatrice, cher Joël, je suis ravi de lire votre dialogue sur ce bloc notes! Peu assuré de vous suivre avec intelligence dans la profondeur de vos délibérations, je vais essayer de préciser mes positions personnelles.
Bien sur toujours réfléchir avant d’agir pour éviter de confondre le but et les moyens, l’objectif et le mouvement. Mais pas réfléchir pour ne pas agir (le terrorisme des théories) et pas davantage agir sans réfléchir (autant se livrer au jeu mortifère des pulsions).
Le simple et le complexe, l’un et le multiple: l’atome (insécable) comme l’ombilic (trivialement le nombril) sont idiots car précisément l’ultime et l’originelle part de la matière ou de l’humain. Or l’essentiel se situe dans le chemin, la complexité et la créativité ne s’éprouvent ou se résolvent que dans le parcours.
Veillons à ce que les pensées simples ne soient pas simplettes, que les choix uniques ne détruisent pas la diversité. Soyons tout aussi attentifs à ne pas nous cacher derrière la complexité et à ne pas nous perdre dans la pluralité. Et donc soyons humains en cerchant notre source dans la meilleure part de nous.
Bonsoir, et merci pour vos réponses, à tous les deux, sur lesquelles je médite encore… et je me sens en accord avec vous.
Depuis les événements de janvier, je me réfugie à nouveau dans la lecture de Jacques Berque, immense érudit de l’islam, grand humaniste, d’une grande lucidité quant à certains dangers dont il pressentait une issue funeste. Et je voudrais le citer, avec ces belles paroles :
« J’appelle (…) à des dialogues, fussent-ils conflictuels, à condition qu’ils soient pertinents, au lieu de la réciproque ignorance. (…)
J’appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelées et l’inlassable espérance »
Jacques Berque, 2 juin 1981, in Les Arabes, suivi de Andalousies, Actes Sud.
Par ailleurs, à ma connaissance, la Cinémathèque de Toulouse dispose d’une copie du film « Le destin » de Youssef Chahine, Averroès en proie aux obscurantistes, à Cordoue. J’aimerais personnellement qu’ils le reprogramment le plus rapidement possible.
Oui il faut relire (ou au moins lire) Jacques Berque et garder en nous l’esprit si rayonnant des Andalousies du siècle d’or. Sans oublier ce qui suivit..
Cette violence dont nous faisons des terroristes les boucs émissaires, nous en sommes les artisans, tous les jours : envers les membres de notre famille, nos voisins, nos collègues, ceux que nous croisons dans la rue. Nos moqueries, nos insultes, notre étroitesse d’esprit : est-ce liberté que de les dire ? Pour s’exprimer librement, encore faudrait-il que nous soyons libres de nos peurs et de nos conditionnements. Notre société est violente parce que NOUS PERSONNELLEMENT SOMMES VIOLENTS : vous ET moi. Il suffit d’un peu d’attention, d’un peu de conscience j’allais dire, pour comprendre que ce n’est pas de la violence des autres qu’il faut s’occuper : si nous voulons que le monde change, c’est vous ET moi qui devons changer. Que nous le voulions ou non, nous sommes responsables de ce que le monde est. C’est comme l’écologie : c’est par nos actions personnelles que ça marche, pas par de grandes déclarations abstraites qui n’ont jamais rien résolues.
Je suis absolument d’accord avec vous. La Résistance ne se décrète pas, elle se vit, et d’abord en chacun de nous. Le plus grand ennemi est le sadisme qui est au coeur de tous les fonctionnements psychiques, le plus souvent sous une forme voilée, mais actif tout de même. Mon combat est de lutter inlassablement contre cette pulsion mortifère, de la réduire et de lui interdire le moindre accès à mes pensées, mon discours et mon comportement. Le travail d’une vie entière mais c’est à ce prix que nous nous différencions des bourreaux, évidemment des assassins mais aussi des destructeurs au quotidien. Je vous remercie pour l’occasion que vous me donnez de préciser ma pensée.