Le 6 juin 1944, le jour J, et un petit garçon, 70 ans après

Pour des raisons encore inconnues de moi au moment où j’écris cet article une émotion, indéfinissable mais forte, s’est emparée de moi en ce jour de commémoration de l’épopée, de la bravoure au sacrifice, de tant de combattants, de tant de nations, pour libérer la France, l’Europe, et leurs peuples de la barbarie sauvage, sadique, inhumaine, féroce, sanguinaire que certains des descendants de Goethe, de Dante et de Cervantes ont infligé au monde et, tout spécialement au monde des « sous hommes », juifs, malades mentaux, homosexuels, migrants de tous ordres, maçons, arméniens, communistes, et dès qu’ils agirent, résistants, les résistants qui ont sauvé, avec les Français Libres, l’honneur de notre pays et sa République. L’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien,en ce jour J, comme en tous les autres.

En juin 1944 je n’avais pas encore cinq ans. Ce que je connais des années précédentes se résume à un ensemble indistinct de souvenirs incertains, de récits familiaux modestes, ténus et retenus, de quelques documents qui ont survécu au désastre. Mais je sais et ressens encore aujourd’hui que ce furent des années sans joie, et peut être sans espérance. Naître quelques courtes semaines après la déclaration de guerre du 3 septembre 1939 ne fût déjà pas de bon augure. Après la débâcle et l’occupation de la zone « nord », les habitants de la zone « sud »,encore épargnée, vivaient cependant dans l’intranquillité, et ceux que visaient les lois ou décrets mortels du « Reich » ou de Vichy dans l’angoisse. L’histoire n’allait pas tarder à donner une effrayante et tragique réalité à ces tourments. Le 11 novembre 1942 Hitler ordonna l’occupation de cette partie de notre pays jusqu’alors en partie préservée. La vraie guerre, y compris pour l’enfant que j’étais, commençait.L’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien,en ce jour J, comme en tous les autres.

Jusqu’alors j’avais vécu, fils unique avec mes parents dans un minuscule appartement situé au dessus de leur commerce, dans le joli centre ville de notre cité provinciale. Mon père, pourtant ingénieur chimiste, mais citoyen polonais tout récemment naturalisé français, n’avait pas été autorisé jusqu’alors à exercer la profession pour laquelle l’université ( le prix Nobel Paul Sabatier) l’avait qualifié. Dès l’instant de l’invasion de la zone « libre » la persécution de ceux qui étaient différents (immigrés, couleur de peau, appartenances religieuses , références politiques, philosophiques, idéologiques), de ceux qui aimaient la liberté et de tant d’autres, débuta, dans la violence, implacable, des troupes d’occupation et de leurs unités spéciales avec l’aide complice, empressée et terriblement efficace des autorités de Vichy et des hommes de main, en uniforme ou pas, qui les servaient, dans la servilité et la haine (parfois aussi dans leurs intérêts immédiats). L’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien,en ce jour J, comme en tous les autres.

Il fallait donc échapper aux pièges mortels qui menaçaient nos vies de proies désignées par les bourreaux triomphants et dans la plus urgente urgence. Un mot de mon père à l’époque (souvenir?, plutôt récit rapporté):  » tu vois, ce chien errant, affamé, dans la rue, il est moins malheureux que nous ». Rien n’avait vraiment été préparé pour faire face à la catastrophe qui s’abattit en quelques jours sur les victimes à venir. Mon père partit, avec l’aide intéressée d’un passeur, par les Pyrénées, rejoindre De Gaulle, au Maroc, une escapade qui lui valut quelques mois de prison chez Franco, avant que les Etats Unis De Franklin D. Roosevelt ne rachètent tous ces prisonniers; il rallia alors la France Libre. Ma mère, française, et moi devions le rejoindre mais cela, pour des raisons qui m’échappent encore, ne fut pas possible. Maman organisa donc notre survie dans ce monde dangereux, pire, terrifiant en ce que nos pires ennemis étaient justement les autorités, le fameux Etat Français qui substitua à son devoir essentiel de protection de sa population, la persécution avec un zèle anticipateur allant plus vite et plus loin que ne le demandait le commandement des troupes ennemies qui occupaient notre pays. Un bref rappel historique s’impose pour ceux qui ignorent ou oublient: loi du 22 juillet 1940 de dénaturalisation, appliquée à mon père, statut des juifs du 3 octobre 1940 interdisant l’exercice de nombreuses professions, loi du 4 octobre 1940 permettant d’enfermer les « ressortissants étrangers de race juive » dans des camps d’internement, loi du 7 octobre 1940 abolissant le Décret Crémieux accordant la nationalité française aux juifs d’Algérie, création le 29 mars 1941 du Commissariat général aux questions juives (Xavier Vallat), loi du 2 juin 1941 sur le statut vichyste des juifs autorisant les préfets à prononcer l’internement administratif des juifs français, ordonnance du 29 mai 1942 imposant le port de l’étoile jaune, loi du 11 décembre 1942 imposant aux juifs de faire apposer la mention « Juif » sur leur carte d’identité…Les outils administratifs étaient prêts, la chasse pouvait commencer qui conduisit les malheureux vers les camps de concentration, puis après la décision allemande de la « solution finale », vers les camps d’extermination. Le petit garçon que j’étais ignorait tout cela mais comprit immédiatement que désormais il fallait se cacher pour échapper à la traque. A Paris la « rafle du Vel’d’Hiv » ordonnée par les allemands mais opérée par la police française avait eu lieu les 16 et 17 juillet 1942 et Brasillach de commenter « n’oubliez pas les petits ». Je suis naturellement bien conscient du caractère auto anxiolytique de cette revue documentaire, pour me permettre de conjurer la reviviscence des émotions de cette enfance. Pour autant,l’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien ,en ce jour J, comme en tous les autres.

Ce qui suivit pour moi associa la peur de tous les instants à un sentiment injustifié d’abandon.

La peur, je n’en connaissais pas le nom mais toutes les heures, celles de la nuit comme celles du jour, de ma vie de ces années terribles étaient habitées par elle. Ni la raison, ni les risques encourus ne m’apparaissaient clairement, mais je devinais instinctivement, comme un animal, qu’il fallait disparaitre pour survivre. Ma mère, dans son amour protecteur et sûr,trouva un refuge pour l’enfant proscrit que j’étais dans une famille patricienne de grands intellectuels toulousains, ceux que plus tard on honorera du nom si beau de « justes dans les nations ». Cet homme, sénateur de la République et doyen de la Faculté des lettres, et sa femme acceptèrent de recevoir et de cacher le petit juif, au péril de leurs vie, dans leur maison. Pour plus de sécurité je fus installé dans la pièce du sous sol où la gouvernante de cette auguste maison officiait; un vasistas, au ras du trottoir offrait une maigre lumière. On me raconta plus tard que je passais mes journées à faire des paquets, cartons et bouts de ficelle, pour « papa et maman » et que je réclamais leur présence; de mes nuits je ne sais rien sauf qu’aujourd’hui encore elles sont difficiles. Mais l’image de cette femme du sous sol, plutôt âgée, ronde et généreuse, apaisante, habite toujours mon imaginaire. Les si bienveillants et courageux maitres de maison me recevaient, une fois par semaine, à l’étage noble pour le déjeuner et une promenade, très surveillée, dans le jardin intérieur. Nul ne devait, jamais, voir ce garçonnet inconnu et suspect. Mon souvenir le plus saillant est celui de l’impressionnante bibliothèque de cet homme émérite, dont je raconterai plus tard le destin exceptionnel. Cet amour des livres sera décisif dans ma vie, et la maison où je vis depuis plus de quarante années est habitée aussi par des milliers d’ouvrages, de l’édition rare pour bibliophiles à d’innombrables livres de poche. Ma mère, elle même en immense danger, courrait de planques en planques, et au péril de sa vie, me rendait quelques visites clandestines et furtives autant qu’il était possible. De mon père, aucune nouvelle de sa vie ou de sa mort pendant des mois. Plus tard, la tragédie achevée, la sécurité et la liberté retrouvées, je rendis si souvent visite, le coeur plein de gratitude et d’émotions à mes sauveurs, sans vraiment connaître pendant des années, le rôle précis, si exposé et décisif, qui fut le leur dans ma survie. Un immense respect pour eux, pour ma mère, et aussi pour mon père, pour le génie plein de bravoure qui dirigea leurs décisions pour tenter, avec succès finalement, de sauver la vie de leur enfant et aussi celles des parents dont cet enfant avaient si intensément besoin, ont construit ma vie de petit d’homme, puis d’homme. L’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien,en ce jour J, comme en tous les autres.

L’abandon, je le ressentis cruellement, mais ce vécu douloureux n’avait aucune réalité ni légitimité. Ma mère, comme mon père, luttaient si difficilement pour échapper aux griffes du monstre mais, plus encore, pour me protéger et prendre soin de leur fils désorienté. Mon père se sauva, et nous sauva, en rejoignant les Forces Françaises Libres, et en veillant sur nous depuis le Maroc où il trouva refuge et opportunité de servir la France. Ma mère, cachée chez des amis magnifiquement courageux, prit des risques inouïs pour me rendre des visites aussi fréquentes que possible, malgré les rafles. Il faut comprendre son dilemme: venir me voir au danger de sa capture puis de sa disparition, me laissant orphelin en des mains certes bienveillantes mais étrangères, ou se terrer me livrant à la solitude et à déprivation d’affection qu’un jeune enfant attend de ses, son, parent. Elle choisit d’affronter le danger, avec sa témérité, son courage mais aussi, autant qu’il était possible, sa sagesse dans ses déplacements clandestins. Cela je ne le compris que plus tard. L’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien,en ce jour J, comme en tous les autres.

Toutefois elle éprouva qu’une telle situation ne pouvait s’éterniser, ni pour mes hôtes si valeureux, ni pour moi, ni, accessoirement, pour elle. Par je ne sais quelle complicité elle trouva à la campagne, dans une commune de la périphérie de Toulouse portant le nom de Bérat, une famille rurale de braves (à tous les sens du terme) gens, agriculteurs probablement socialistes ou radicaux socialistes à la mode du sud ouest, qui acceptèrent de nous accueillir clandestinement (peut être contre dédommagement). Du fond de cette ruralité nous étions dissimulés et très vite réfugiés dans la grange ou le grenier dès qu’un bruit de moteur se faisait entendre. Les voisins étaient loin et nous vécûmes quelques mois ou plus dans ce havre en apparence paisible. Avant ou après cette période il y eût quelques autres mois de clandestinité à proximité d’Agen, pendant un hiver terrible où nous nous régalions dans l’obscurité ( la cachette) de rutabagas et de topinambours avec nos mains tristement gantées de morceaux de laine (la température n’atteignit que rarement, au plus haut, les moins cinq degrés selon ce que l’on me rapporta plus tard ). Pour autant Maman, avec qui j’étais enfin me rapporta que je ne fus jamais souffrant, bien heureusement car il était hors de question de sortir de notre repaire pour consulter. L’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien,en ce jour J, comme en tous les autres.

Les mois, les années passèrent, comme pour tous les peuples d’Europe, ceux qui portaient les bottes comme ceux qui les subissaient et résistaient. Le malheur n’était pas une idée neuve mais il se trouvait bien là. Les crimes des uns, le martyre des autres retiraient à ce continent des Lumières sa clarté et le plongeait dans l’obscurité du sadisme déchainé, des pulsions mortifères non seulement incontrôlées, mais plus encore orientées méthodiquement vers les cibles des lépreux que, de tous temps, les hommes (est-ce le bon substantif?) avait désignées. Mais dans ces malheurs généralisés la maman et le petit garçon survivaient, intranquilles, mais survivaient. Pourtant le ciel s’éclaircit petit à petit: des lettres du père arrivèrent, par je ne sais quel prodige, et nous summes qu’il était vivant, au Maroc; des victoires à l’est, des débarquements au sud et au nord annoncèrent la libération, des bombardements la préparèrent. Il fallut se terrer à nouveau mais cette fois ci l’espérance l’emportait sur l’angoisse. Les bombardements des alliés embrasèrent le ciel de Toulouse, ce que je vis de mon observatoire clandestin dans ma campagne salvatrice. La division SS Das Reich rodait et commettait des crimes indicibles dans notre région, ce que je ne sus que plus tard, les résistants traquaient, à leur tour, les troupes ennemies et les représailles suivaient. Mais la Libération était en marche, ce que je ressentais confusément. L’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien, en ce jour J, comme en tous les autres.

La suite fut tellement plus heureuse; certes le pays était en ruine, peut être moi aussi. Mais le temps de la reconstruction était enfin arrivé, pour tous, en dépit, ou mieux en raison des deuils innombrables et des souffrances indicibles de toute l’Europe et bien au delà. Pour moi le père était revenu, la famille nucléaire enfin reconstituée, la vie sans la peur quotidienne et dans la liberté nous offrait un présent et un futur. Je n’avais pas connu le sang, et peut être pas davantage les larmes, mais l’expérience des séparations incompréhensibles et de la privation de liberté m’avait marqué pour toujours. J’avais appris définitivement qu’il n’existe pas de bien plus précieux que cela, la liberté, les libertés, l’indépendance, l’autonomie, ne pas accepter de subir. Il me faudra des années, bien des années, pour comprendre qu’atteindre cette félicité imposait aussitôt un devoir: ne priver quiconque de ses libertés, ne jamais faire subir. Peut être mes choix professionnels furent-ils inspirés par cette évidence, cette urgente nécessité: je n’ai jamais compris que mes exercices de la médecine, de la psychiatrie, de la psychanalyse, de l’enseignement, de la recherche, de l’édition puissent avoir d’autre but que de conduire patients, étudiants, collègues, auteurs, sur les chemins de leurs libertés, personnelles et sociales. En cet automne de ma vie je ne mesure pas si je suis parvenu à atteindre cet objectif, mais je sais que je produis cet effort et que je continuerai, et jusqu’au dernier souffle. « Il faut imaginer Sisyphe heureux » nous rappelle Camus. La vie, malgré les absurdités souvent tragiques du destin, mérite d’être vécue. Plus encore il appartient à chacun de nous de mériter la vie, sa vie et de l’enrichir des sens que notre histoire nous a enseignés et qu’il nous appartient de défendre et de transmettre. je ne connais pas de plus noble tâche, au service du vivant.
Et c’est ainsi que je puis exprimer: « l’enfant d’alors, aujourd’hui homme mûr, n’oublie rien de ces douloureux souvenirs mais a voulu et veux et voudra vivre et transmettre son amour de la vie vécue et de la liberté libre ».

12 réflexions au sujet de « Le 6 juin 1944, le jour J, et un petit garçon, 70 ans après »

  1. Un texte d’ombre et de lumière, couleur de votre vie et puis… les livres.
    Un texte très dense qui dit votre famille, votre enfance et votre automne, vos engagements.
    Continuez d’écrire ! Vous avez tant à dire ! MJA

  2. Il est tard, c’est la première nuit du ramadan. La journée passée a été heureuse, la présence de Fifi y est pour beaucoup, elle nous apporte tant de tendresse et d’amour. C’est au moment où les yeux se ferment pour clore ces moments délicieux et sereins qu’un bruit étrange, comme la sonnerie d’un téléphone occupé, occupe brutalement l’espace, suant à travers les murs ou le sol.. Le sommeil s’éloigne et l’envie irrépressible de découvrir l’histoire de ce petit garçon d’hier qui est devenu aujourd’hui mon ami et mon frère. Mon très cher Henri, toi si silencieux sur toi-même mais toujours à l’écoute de l’autre, merci pour ce cadeau si rare, si émouvant, si fort et si beau.. Ces souvenirs, font partie intégrante de l’histoire de ce jour J, où tant d’hommes ont donné leur vie pour rendre la liberté de vivre à d’autres hommes emprisonnés et torturés et aux petits enfants dont la vie et les nuits n’étaient que d’horribles cauchemars… Aujourd’hui, toi l’homme sage né de l’enfant terrorisé, tu continues ton combat pour que vive notre démocratie et notre laïcité dans notre pays des Lumières et des Droits de l’Homme, je souhaite que les générations futures te lisent et t’entendent pour mieux comprendre ton message qui est un hymne à la liberté !

  3. Cher Henri,
    Cette histoire, ton histoire est de toute beauté et émouvante parce que véridique.
    Merci de nous faire partager ces souvenirs douloureux qui font aujourd’hui parti de notre histoire à tous.
    Fifi

  4. Je connaissais bien sûr l’essentiel de ton histoire, mais pas avec cette force poignante. Nous sommes tous des enfants juifs et nous sommes tous responsables de la shoah.

  5. J’ai beau « laisser venir les mots » comme le dit si bien Henri, et solliciter « soeur anne » le clavier de mon ordinateur peine à exprimer les bienfaits de la lecture de ce « bloc » ; j’ai envie d’écrire bloc d’émotions, de réflexions, de méditations . Henri surtout laisse venir les mots , ne les retiens pas , il nous font du bien à nous lecteurs.

    1. Merci Dan,

      Ces commentaires encouragent le rédacteur du bloc note à continuer, à aller plus loin. Cela ne se révèle pas toujours aisé car je dois trouver le chemin, ténu, entre la pudeur, la sincérité et l’exhibitionnisme que j’abhorre. Et aussi le besoin, de toujours, de garder un jardin privé que n’habitent pas seulement d’aimables floraisons mais aussi de mauvaises herbes que je dois combattre sans répit. Mais grâce à toi et aux autres lecteurs je persévérerai dans cet effort salutaire.

  6. Cher Henri,
    j’ai reconnu dans vos textes l’intensite de votre curiosité pour les domaines de l’esprit mais aussi de la littérature ( Quignard que j’aime tant), la sociologie, l’économie, la politique. Et puis la découverte du récit sur votre enfance cachée pour échapper a la Shoah, et ces sensations, impressions d’enfant d’un monde perdant son sens quand l’un des parents , encore plus les deux, vient a manquer et disparaît de l’horizon du quotidien. Je comprends, moi aussi bientôt à l’automne de ma vie, pourquoi l’isolement a la campagne, et l’ecriture, représentent, comme l’a bien vu Montaigne, une protection face au non-sens du monde et la folie humaine. Merci de vos belles pages.
    Amicalement. G.P.

    1. Merci Gérard pour ces mots qui viennent d’un homme qui place la lecture et l’écriture au plus haut niveau. Une fois encore nous nous retrouvons, j’en suis heureux.

  7. Merci. Merci beaucoup pour ce récit, que j’ai lu à plusieurs reprises. Il transparaît dans ces lignes une telle urgence, presque une rage, une conscience aiguë, une nécessité. Je vois devant moi le petit garçon de cinq ans qui fabrique des paquets ; c’est magnifique ce qui est devenu, car « le temps de la reconstruction était enfin arrivé, pour tous, en dépit, ou mieux en raison des deuils innombrables et des souffrances indicibles » – j’aime beaucoup ce « en raison ».
    Ce garçon devient un enfant universel, qui installe des gestes, des rituels pour garder le lien, pour trouver l’apaisement, pour survivre tout court.
    Ces enfants existent partout dans le monde – aujourd’hui comme hier.

    Et aujourd’hui comme hier il est nécessaire de affûter son regard. La déchirure entre le « bien » et le « mal » traverse toutes les nations, tous le peuples et même chacun de nous. Et encore, il est très délicat de travailler avec ces notions, car ils divisent le monde de façon simpliste en noir et blanc. … Or, cela est justement souvent le début de l’oppression et de l’horreur.
    Le mal n’est souvent rien d’autre que l’ignorance.

    Merci d’avoir mentionné dans ce texte le « zèle anticipateur (de l’Eta français) allant plus vite et plus loin que ne le demandait le commandement des troupes ennemies qui occupaient notre pays. » Je suis moi-même franco-allemande ; j’ai passé mon enfance et jeunesse en Allemagne et suis depuis peu naturalisée française. La déchirure a traversé ma propre famille – j’avais un oncle membre de la NSDAP, et un autre oncle résistant, incarcéré dans un camp de concentration (il a survécu). Ma mère a perdu son premier mari au front, il n’a jamais connu le visage de son futur enfant.
    Après avoir refoulé, comme tant de pays après tant d’horreur, son propre histoire, l’Allemagne a commencé le travail de souvenirs, et je dirais même elle est devenue obsédée par le devoir de mémoire. Berlin est comme un livre ouvert d’histoire ; un seul exemple : les « Stolpersteine » (littéralement : pierres à trébucher) : des pavés dorés incrustés dans les trottoirs, avec à chaque inscrit fois un nom d’une personne et une date – la date de leur déportation – devant toutes les maisons dont on connaît les habitants et leur enlèvement à cette époque.

    D’ailleurs, cette conscience aiguë et la nécessité de travailler le passé, de ne pas le cacher, d’en comprendre quelque chose à continué ensuite, lorsque le mur est tombé et toute la persécution du Stasi est apparu au grand jour. Chaque personne pourrait alors se renseigner sur son dossier, sur les informations qu’on avait sur elle et les indications et trahisons qui ont été fait à son sujet.

    Une grande amie de moi est directrice d’un Mémorial de Camp de Concentration. La question, la grande question pour elle : comment se souvenir ? Garder la mémoire est inséparable de la nécessité de comprendre. Cette amie à réalisé, non sans difficulté et résistance, des travaux sur les femmes surveillantes dans des camps de concentration. Comment une femme normale, souvent mère d’enfants, est arrivée d’exécuter ce genre de travail ? Les réponses ne furent pas toujours confortables.

    Aujourd’hui, les réponses à la terreur – comme les attentats récents à Paris – ne sont pas toujours confortables, non plus. Lorsqu’on se penche un peu sur l’histoire du Moyen-Orient – il y a des excellents conférences à trouver sur youtube (personnellement, j’en connais surtout en allemand) – on comprend que la naissance d’un IS (ou avant, d’un Al Quaida) n’est pas tombée du ciel. Le déséquilibre, le déracinement des cultures et Nations est le fruit d’une longue série d’interventions de l’Occident, notamment de la Grande-Bretagne et des USA. L’horreur a parfois un visage bien connaissable, il a d’autres visages plus invisibles. Et c’est là que notre regard doit s’affûter, percer plus loin ; comme il doit prendre gare de juger hâtivement, porté par la pure émotion.

    1. Merci Sabine pour votre commentaire sensible et éclairé. Oui nous avons connu l’horreur des deux cotés de la frontière. De ces monstruosités abominables est née une grande espérance: l’Europe affirmant les valeurs et les pratiques de la démocratie et des droits de l’humanité. Hélas elle oublie aujourd’hui les infamies d’hier en refusant d’accueillir ces personnes en migration pour échapper à l’enfer de la guerre et des persécutions.La meilleure façon de se souvenir des crimes consiste simplement à ne pas en commettre d’autres.

      1. Oh oui … et plus encore: ne pas fermer les yeux devant les horreurs qui sont en train de se passer !! Merci d’avoir tiré le fil jusqu’à nos jours…. Le crime aujourd’hui, c’est l’indifférence et le replis sur soi, face à ce qui se passe sur la Méditerranée, sur « la route des Balkans », devant les frontières de l’Europe…

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