Je m’adresse ici à mes compatriotes qui ont, hier, apporté leurs suffrages à la formation politique « Front National »; je le fais avec l’esprit ouvert et la main tendue. Vous êtes 4 700 000 français et ce très grand nombre indique que vous devez être entendus et votre colère comprise. Il ne me parait pas juste de vous ranger tous dans la même catégorie et de m’indigner en vous stigmatisant et en vous culpabilisant pour avoir donné votre vote à une formation d’extrême droite. Pas tous parce que je n’éprouve pas la même mansuétude envers les dirigeants de ce parti qui, justement, sont des adversaires de notre République, notre République qui ne connait que le bien commun et doit protéger tous ses enfants. Ce que vit notre pays aimé, la France, n’est pas seulement un ébranlement politique mais surtout une crise morale, d’une telle ampleur que vous, qui êtes majoritairement jeunes et issus des classes populaires, soit l’avenir et la force de notre pays, avez été trompés par ces marchands d’illusion. Examinons ensemble quelques points et peut être pourrai-je vous convaincre, ou certains d’entre vous, que vous avez été induits en erreur:
1° Le programme: Croyez vous vraiment que sortir de l’euro, puis de l’Europe va aider notre économie dans un monde mondialisé, que cela nous plaise ou non? Pensez vous que la fermeture de nos frontières serait sans conséquences, par réciprocité, pour nos exportations? Souhaitez vous que l’image de la France dans le monde soit celle d’un pays aigri, enfermé en lui même, solitaire et réactionnaire? Ne préférez vous pas qu’elle demeure, malgré nos difficultés actuelles, celle des Lumières, de la Révolution, des Droits de l’Homme et de la Marseillaise? Enfin avez vous trouvé des éléments de programme constructifs et sérieux dans l’argumentaire du Front National sur le plan économique, social, culturel, en matière d’emploi, de retraites, de prestations sociales, de relance?
2° La liberté: L’Etat français de Pétain, qui abolit la République, c’était il y a moins de trois quarts de siècle, peu après Hitler, Mussolini, Franco, Salazar pour demeurer en Europe; les colonels grecs il y a un demi siècle, comme la tentative avortée de coup d’Etat en France par l’armée (le putsch des généraux). La liberté n’est pas acquise une fois pour toutes et les libertés sont toujours à conquérir, maintenir et défendre. Précisément la vigueur de la République dans notre patrie et la cohérence de l’Union Européenne sur notre continent sont ses plus fidèles et efficaces protecteurs. Par son refus généralisé (non à l’Europe, non à l’euro, non à la globalisation, non aux travailleurs étrangers, non à la différence, non à la culture) le Front National est un ennemi de la liberté; c’est aussi un parti raciste (Jean Marie Le Pen, le 20 mai dernier à propos de la démographie en Afrique: » Monseigneur Ebola peut régler ça en trois mois ») et antisémite: la formation UKIP, antieuropéenne et nationaliste, qui vient de l’emporter en Grande Bretagne, ne veut pas s’allier au FN « qui a l’antisémitisme dans son ADN »; par contre le F.N. cherche un accord avec Aube dorée le parti néo nazi grec pour former un groupe au parlement européen. Ouvrez les yeux, chers compatriotes, excédés certes: ce parti est dangereux. Il se présente aujourd’hui sous d’aimables apparences, la dédiabolisation a fait son oeuvre, tout est lisse, propre et rassurant. Mais ce n’est qu’une façade, un masque pour vous séduire, pour s’emparer de votre désarroi et de vos inquiétudes en les canalisant vers ce pari « viril », nationaliste, expéditif, dont les cadres laissent régulièrement échapper quelques horreurs mal contrôlées. Et soyez en certains: ce parti totalitaire, comme tous ses pareils, quand ils ont pris le pouvoir, ils ne le rendent pas, ils le gardent. Même aujourd’hui, en 2014, vous pouvez le vérifier dans de nombreux pays d’Asie, d’Europe de l’est, d’Afrique, d’Amérique du sud, j’en oublie certainement. Vous comme moi souhaitons pouvoir exprimer librement notre opinion par la parole, l’écrit, le vote, voulons nous réunir quand et où bon nous semble, bénéficier d’une information objective et plurielle. La dictature balaie aussitôt ces libertés fondamentales. A l’inverse rappelons nous Voltaire à qui est attribuée l’affirmation suivante, peut être apocryphe: » Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Je préfère Voltaire à Marine Le Pen.
3° La paix: Jamais dans son histoire notre continent (ou plus exactement la partie de notre continent qui constitue l’Union Européenne) n’a connu une aussi longue période (70 ans) sans conflit armé. A elle seule une telle continuité est sans prix et mérite tous les efforts, j’ose dire tous les sacrifices. Je garde en moi les souvenirs de nos villes bombardées, de notre peuple, pendant la débâcle, par millions sur nos routes, de la famine, de la torture, des exécutions sommaires, du martyre des résistants de la liberté; les plus jeunes peuvent voir ces images, cette fois ci actuelles, dans de nombreux pays qui subissent aujourd’hui les malheurs de la guerre à quelques heures d’avion de Paris. Les grandes puissances européennes ont posé les armes, fondé la réconciliation et bâti la plus gigantesque construction politique et économique de l’histoire (près de 30 nations chacune conservant sa constitution, presque autant de langues) sans tirer un coup de feu. « Le bonheur est une idée neuve en Europe » voulait croire Saint Just quand les armées de la Révolution portaient partout les oriflammes de la liberté; c’était présomptueux. Par contre « la paix est une idée neuve en Europe » est une réalité observable chaque matin et chaque soir. Mais attention! Le système ne tient que parce que nous sommes tous membres de l’Union Européenne qui nous réunit et nous solidarise. Regardons à l’Est, depuis la dissolution, pour autant bienvenue en ce qui concerne l’épouvantable dictature, de l’URSS: en quelques années les guerres reviennent en Tchétchénie, puis Géorgie, maintenant Ukraine et déchirent les citoyens d’une même région, les voisins d’un même village, les membres d’une même famille. Voulons nous cela en détruisant l’Europe au motif de certaines difficultés ou imperfections? « Plus jamais la guerre, plus jamais la guerre », disait Jean Paul II.
4° Le mensonge: vous, électeurs du Front National, vous n’êtes pas les riches, vous n’êtes pas les personnes âgées, vous êtes le peuple et vous êtes la jeunesse, donc des forces vives. Vous êtes exaspérés de pas trouver d’emploi ou de logement, de vivre avec des rémunérations ou des assistances insuffisantes, de constater que les systèmes de santé ou d’éducation, pourtant parmi les meilleurs du monde, deviennent moins performants et parfois fonctionnent à deux vitesses, que les services de police et de justice, comme notre armée, subissent les conséquences des politiques d’austérité. Qui pourrait vous donner tort?
Mais en même temps pensez vous vraiment que le Front National au pouvoir pourrait miraculeusement effacer notre dette colossale (creusée depuis des décennies), donner du travail à chacun, augmenter les salaires, les retraites, bâtir des villes…? La famille France est endettée, elle doit rembourser ses crédits, comme toute famille, sinon tout ce qu’elle gagne, en effort et en productivité, ne servira qu’à payer les intérêts de cette dette indéfiniment.
Vous avez absolument le droit de vous insurger contre les conditions qui vous sont faites et je comprends, même si je ne peux l’approuver, votre vote. Mais ne vous trompez pas: le Front National n’est pas l’ami du peuple ou de la jeunesse, simples cautions pour accéder au pouvoir et s’y maintenir. Au mépris de ses discours de campagne il est l’allié du grand capitalisme financier et de l’ultralibéralisme. Il est le partisan de la force et de l’autoritarisme qu’il commencerait à exercer contre vous justement parce que vous êtes le peuple et la jeunesse. Si il y parvenait il gouvernerait par la peur, la xénophobie, la violence (cf. son service d’ordre), le rejet des différences d’opinions, de religions, de couleur, d’orientation sexuelle, voire de handicap, visible ou pas. Etes vous sûr de ne pas, un jour, subir un accident de la vie, un handicap et de ne pas devenir à votre tour victime de ces politiques d’exclusion?
Ouvrez les yeux: ces gens, les meneurs de ce parti, sont des imposteurs. Ils sont ennemis de l’Europe et s’y font élire mais n’y travaillent pas; désormais nombreux ils prétendent la bloquer, ce qui traduit une profonde incompétence et ignorance du fonctionnement de ces institutions; ils feront au mieux de la figuration agitée et brouillonne. Ils ont volé votre bulletin, et je ne mets aucunement en doute votre sincérité; je dis simplement que, au fond de vous même, vous n’avez pas voté pour qu’ils gouvernent, mais parce que tous les autres vous ont déçus. Si par malheur ils parvenaient au pouvoir vous feriez vite partie des déçus du F.N., avant d’en être les victimes. Le F.N. au pouvoir signifie le retour de la propagande, la flatterie des mauvais instincts, le culte de l’ostracisme, une aventure mortelle pour les droits humains.
J’aime la France, viscéralement, à la fois la Mère Patrie, la fille de la Révolution et l’inspiratrice de la Déclaration des Droits de l’Homme. Je suis un patriote, de coeur et de raison. Mais je ne suis pas nationaliste, parce que le nationalisme, tôt ou tard c’est la guerre. Et pour cette raison je mesure que l’Europe est l’avenir commun de l’ouest de notre continent, l’avenir de nos enfants, petits enfants et arrière petits enfants. Que pèseraient la France, ou l’Allemagne, ou l’Espagne, seules dans vingt ans quand les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) auront achevé leur processus d’émergence? Rien, des puissances tout juste moyennes, et incapables de protéger leurs populations des folies de l’histoire..
Ce n’est pas tout: je n’aime pas la peur, je n’aime pas être gouverné par la peur. Le F.N. fonctionne sur la peur, par la peur, avec la peur. Peur de l’autre, peur de l’étranger, peur du nouveau, peur de la différence, peur de l’opposition, et plus que tout peur de l’avenir.
Peur de l’étranger? Il ne faut pas éviter le sujet dont je sais qu’il vous inquiète. Je consulte donc longuement et précisément les statistiques de l’INSEE et constate, non sans étonnement, que le nombre d’immigrés et d’étrangers, exprimés en pourcentage de la population globale, n’a pratiquement pas évolué depuis 40 ans, autour de 13 à 14 % traduisant une stabilisation dans les flux migratoires. Il est comparable à celui observé dans les grandes économies occidentales. Etonnement de ma part parce que ce n’est pas ce que donnent à voir les rues de nos villages et de nos villes. C’est oublier que les populations que nous sommes allé chercher, au temps des « trente glorieuses », pour faire fonctionner nos mines, nos usines, construire nos routes et nos ponts se sont établies, ont fondé famille et que nous en sommes à la troisième génération, qui connait aussi les difficultés quotidiennes de tous les français. Faut-il renvoyer ces compatriotes? Et où? C’est inhumain et impensable. De plus sommes nous assurés, chacun de nous, de ne pas être un descendant, parfois lointain, d’un de ces immigrés qui ont fondé le peuple français, à travers les siècles? Il ne fallait donc pas en faire un argument de propagande. Et pas davantage de l’affirmation que les immigrés pillent ou ruinent la France par le bénéfice des prestations sociales; c’est oublier qu’ils travaillent aussi et participent à l’équilibre par leurs cotisations. Au terme d’études sérieuses l’économiste Lionel Ragot publie un ouvrage en 2012 dans lequel il conclue: » la contribution aux budgets publics des immigrés est positive ».
Peur de l’avenir? Mais c’est une insulte au peuple, à la jeunesse. La France, c’est justement la foi en l’avenir. La France, c’est précisément la flamme de l’espérance. N’ayons pas peur, ayons confiance en nous.L’avenir, c’est nous qui le construisons et il ne peut s’édifier sur un repli égoïste, une vision étriquée, régressive et parfois négationniste de l’histoire, sur la phobie de la différence. C’est exactement le contraire: l’avenir sera celui de l’entraide, de la construction résolue d’une Europe des nations (dans un premier temps), de la complémentarité féconde de nos diversités, comme cela fut toujours le cas dans la longue histoire de notre pays. Roosevelt disait: « n’ayez peur que de la peur », je souhaite vous dire: »n’ayons peur que nous mêmes », des sombres instincts qui nous habitent tous, qui rodent en nous, et que nous devons tous apprendre à contrôler, maitriser et dépasser.
C’est un effort et un travail quotidien que de sublimer sa colère en solidarité, son désarroi en espérance . Cela porte le beau nom grave d’humanité qui ainsi nous unit, au dela de nos différences.