Pensons ensemble l’horreur, sans peur et sans haine

Mon précédent article: « Il faut tuer les tueurs et leurs commanditaires » m’a valu, comme prévu et souhaité, de nombreux commentaires, dont une partie est présente sur ce blog, les autres m’ayant été transmis directement. Tous n’approuvent pas cet écrit de la nuit du 13 au 14 novembre, et beaucoup posent des questions.

Un rappel, au préalable: la première ligne de l’ article de référence : « Raison garder, même et surtout face aux horreurs de la déraison »; l’avant dernière: « Sachons résister à la peur mais aussi à la haine ». Ceci pour témoigner que mon point de vue s’exprime avec dureté mais aussi humanité.

1ère mise au point sur la peine de mort et la guerre:

La peine de mort, je suis depuis toujours, et pour toujours, absolument son ennemi, adoptant comme mon ami J.M.C. la formule de Robert Badinter: « Parce qu’aucun homme n’est totalement responsable, parce qu’aucune justice ne peut être totalement infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable ». Je suis, depuis des décennies, membre de ECPM (Ensemble contre la peine de mort, 3 rue Vaillant Couturier 92230 Chatillon). La loi d’abolition du 9 octobre 1989 est des plus beaux moments de la République.

La guerre est la guerre, avoir peur du mot est avoir peur de la chose. Elle a ses lois et les opérations en cours n’y contreviennent pas, comme l’exprime la résolution des Nations Unies du 20 novembre dernier, votée à l’unanimité, autorisant « toutes les mesures nécessaires »  contre l’organisation dite état islamique (quel affront fait à l’Islam!) qualifiée de: « menace mondiale et sans précédent contre la paix et la sécurité internationales ». Je sais qu’il faudrait répondre à la haine par la fraternité, mais je sais aussi que pour cela il est préférable d’être encore vivant. Ce que veut daech? Abolir notre vie, notre culture, notre art de vivre, établir une dictature sanguinaire hostile aux femmes, à l’éducation, à l’histoire, rétablissant la forme la plus extrême de la charia, l’esclavage, la décapitation, la torture…comme il le fait déjà dans les territoires dévastés qu’il a conquis et qu’il maintient par la terreur et comme son « califat » ambitionne de l’étendre à toute la planète. Je ne peux  laisser cette menace planer sur l’avenir de nos enfants et petit-enfants.

2ème mise au point sur les « dégâts collatéraux »

Personne n’en parle, ni nos ennemis, ni nos états majors ni les médias. Curieux mutisme devant ces probables tragédies que les tirs conjugués de leurs geôliers et des bombardements infligent à ces malheureuses populations sur lesquelles depuis si longtemps s’acharne la mort.

Il y a évidemment des victimes, en dépit de ces silences. C’est une honte, une terrible culpabilité. Elle est consubstantielle à la guerre, à toutes les guerres. Au printemps 1944 les Alliés ont redoutablement bombardé la Normandie, (et d’autres régions voisines pour tromper l’ennemi), afin de détruire les systèmes nombreux et sophistiqués des défenses du Reich, les ports et les ponts, pendant la « semaine rouge » qui a précédé le débarquement. Pour désorganiser l’armée allemande, empêcher la retraite, le ravitaillement et l’arrivée de renforts, ces bombardements firent plus de huit cent morts et vint mille sinistrés civils. Et ils continuèrent par la suite. Ces actions précédaient, accompagnaient (et succédaient) au débarquement qui n’aurait pas réussi sans cette préparation sanglante. Ne fallait-il pas le faire?

Je regrette toutefois vivement qu’en France, et dans le monde, aucune grande voix ne se soit levée pour dire notre chagrin et notre compassion à l’égard de ces victimes, doublement martyres.

3ème mise au point sur « tuer les tueurs »

Une expression malheureuse et inexacte, née spontanément pendant cette nuit d’horreur. J’aurais du écrire: « Il faut les mettre hors d’état de nuire ». Leur capture aurait permis de mettre à jour, pendant le procès, leurs motivations et surtout l’engrenage dans lequel, par le lavage de cerveau, le conditionnement et enfin le téléguidage, ces individus ont été dépêchés pour tuer par leurs sinistres, et sanguinaires chefs de daech. Malheureusement ils se sont fait exploser ou ont imposé aux forces de sécurité de les éliminer. Je n’ignore pas qu’il s’agit de jeunes gens perdus, noyés dans une idéologie dénaturée (récusée par l’immense majorité des musulmans), habités par une aspiration mortifère et ordalique à tout tenter, quelque soit le prix, pour obéir et à cette doctrine de mort et à leurs propres pulsions d’autodestruction. Mais tout de même quand Merah tire une petite fille par les cheveux pour mieux ajuster le tir qui fera exploser le crâne de cet enfant, et tue sept innocents, quand les frères Kouachi assassinent calmement, méthodiquement onze personnes au siège de Charlie, quand Coulibaly exécute d’abord une policière puis quatre personnes dont le crime était de se trouver dans une supérette casher, quand les terroristes (huit semble-il) abattent froidement les clients en terrasse, puis tirent, impavides, dans le tas et alignent quatre vingt dix cadavres au Bataclan, quand, des milliers de fois ils appuient, mécaniquement, sur la gâchette avec un humain au bout du canon, que se passe-t-il dans leurs têtes?  Impitoyables gamins, ainsi nommés dans le texte de référence. Mais aussi drogués, y compris chimiquement aux amphétamines sans doute, et aussi et surtout par un système, fou mais très organisé, mensongèrement étayé sur une doctrine pervertie par eux, par une technique excitant systématiquement leur part sadique, ils sont aussi des jeunes gens perdus, mais définitivement impardonnables.

Citations extraites du communiqué de presse (revendications des attentats par daech):

« …Dans une attaque bénie dont Allah a facilité les causes, un groupe de croyants des soldats du Califat, qu’Allah lui donne puissance et victoire, a pris pour  cible la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe, Paris…

…Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut ont pris pour cibles des endroits minutieusement choisis à l’avance au coeur de la capitale française, le stade de France lors du match des deux pays croisés la France et l’Allemagne auquel assistait l’imbécile de France François Hollande, le bataclan où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité ainsi que d’autres cibles dans le dixième, le onzième et le dix-huitième arrondissement et ce, simultanément. Paris a tremblé sous leurs pieds et ses rues sont devenues étroites pour eux. Le bilan de ces attaques est de minimum 200 croisés tués et encore plus de blessés, la louange et le mérite appartiennent à Allah…Cette attaque n’est que le début de la tempête et un avertissement pour ceux qui veulent méditer et tirer des leçons… »

4ème mise au point: le sadisme humain

Le sadisme gite en nous, au coeur de chacun de nous. Le racisme aussi. Soyons lucides et luttons contre ces pulsions mortifères, pulsions de mort nourries par Thanatos. La différence, non l’opposition radicale entre les bourreaux et les autres réside dans cette lucidité et dans le combat inlassable que nous devons mener pour interdire à ces rejetons de l’inconscient l’accès à nos pensées, nos émotions, nos discours et nos comportements. Il rode le sadisme, sous une forme voilée mais prêt à agir, telle une cellule dormante selon la terminologie des services de renseignement. Qu’une faille apparaisse dans notre vigilance il pousse son mufle hideux et s’empare de notre système psychique, ce qu’avaient bien compris les chefs de toutes les violences ethniques, religieuses, nationalistes. Il suffit de regarder autour de soi, actuellement et dans le passé, récent ou ancien. Soyons donc vigilants en traquant, dans l’intimité de notre psychisme, ce monstrueux instinct.

C’est justement l’exact contraire que pratique daech. Cette organisation du crime enseigne à ses recrues à ne pas faire la différence entre ce qu’ils appellent la mort et ce que nous nommons la vie ; plus exactement à oublier leur peur de la vie pour cultiver l’amour de la mort, celle de leurs victimes, celle de leur propre existence. Les terroristes opèrent le plus souvent à visage découvert, ils massacrent calmement, méthodiquement, sereinement. Allons plus loin: ils cultivent la volupté du crime qui agit comme un aphrodisiaque. Ils sont l’apocalypse et les héritiers de José Millan Astray, l’officier franquiste du tristement célèbre: Viva la muerte! Contrairement à ce que proposent quelques (heureusement rares) beaux esprits aucune négociation, aucun dialogue n’est possible ou souhaitable avec eux. Il faut les anéantir comme autrefois, ce n’est pas si éloigné, les nazis.

5ème mise au point: refuser la confusion et les amalgames

La guerre, puisque guerre il y a, est asymétrique: les attentats attaquent le territoire de la France, de l’Europe et les troupes mobilisées contre daesh sont à des milliers de kilomètres. L’ennemi, quand il frappe, est anonyme, non repérable, quasi invisible, ouvrant ainsi un champ immense à tous les fantasmes et à la suspicion généralisée. L’habitus, la couleur de peau, l’accent, sont au risque d’interprétations artificielles, équivoques, inexactes et injustes et la stigmatisation de la différence menace. Cette guerre n’obéit à aucune règle, telle celles établies par les polémologues, de Thucydide à Clausewitz. Les peuples, atterrés, se heurtent à une inquiétante étrangeté, à l’inconnu dangereux.

Je veux ici rappeler que les terroristes, prétendant agir au nom de l’Islam, tuent plus de musulmans que de non musulmans; qu’ils sont une infinitésimale minorité (quelques dizaines de milliers de fous de dieu sur une communauté musulmane qui dépasse très largement le milliard de personnes dans le monde et compte entre cinq et six millions de sujets dans notre pays); qu’ils font dire au Coran des paroles de guerre alors qu’il propose des déclarations de paix tout aussi nombreuses; qu’ils souhaitent opposer les communautés, provoquer des réactions de rejet visant nos compatriotes musulmans et par une forme de guerre civile, faire vaciller, tomber les institutions démocratiques et la République.

Et donc je dis, calmement et fortement: ne tombons pas dans ce piège; les musulmans, comme tous celles et ceux qui se réclament d’autres obédiences religieuses, philosophiques, spirituelles sont nos frères humains. Dans ces moments tragiques ils n’ont pas à en faire plus que les autres, ils ont les mêmes droits que chacun. La solidarité et la fraternité entre nous, l’éducation et la culture tous sont la meilleure réponse à la haine que nous porte daech.

CES ASSASSINS COMMUNIENT DANS LA MORT. AIMONS, CÉLÉBRONS, VIVONS LA VIE.

 

8 réflexions au sujet de « Pensons ensemble l’horreur, sans peur et sans haine »

  1. Merci. Vous êtes une de ces grandes voix qui nous aident à penser, classer et ne pas nous soumettre . J’espère que ce clair , vibrant et constructif plaidoyer pour une humanité solidarisée accompagnera sa victoire. Et je souhaite à ces deux propos un lectorat élargi, attentif, conscient et ouvert à un avenir optimiste , dont vous posez les piliers.

  2. Merci à Béatrice pour le commentaire dont je partage à tout égard le point de vue exprimé ci-dessus. Effectivement, espérons que ces textes puissent être diffusés le plus largement possible.

    1. Je remercie vivement Béatrice et Joël pour leurs commentaires et encouragements. Mon propos se veut un simple témoignage d’une pensée en mouvement, d’une réflexion personnelle qui s’enrichit de nos échanges tout en demeurant fidèle à mes fondamentaux: l’humain (et le vivant) avant tout; ne pas subir, ne pas faire subir.

  3. Bravo à notre Belle Italie : Matteo Renzi, devant la somptueuse scène des Horaces et des Coriaces, à Rome, a déclaré : « Ils détruisent les statues, nous voulons les ‘casques bleus de la culture’. Ils brûlent les livres, nous sommes ceux des bibliothèques.
    Ils imaginent la terreur, nous répondons avec la culture ».
    Avec le « Pacte d’Humanité » -un terme raillé par un journaliste du « Monde »! -pour un euro investi dans la sécurité, un euro est investi dans la culture. Quelle lumière !
    Comment , en effet , ne pas penser à ce qui me revient en boucle : « quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver » citation extraite d’une pièce jouée devant Hitler, pour célébrer l’accession des nazis au pouvoir , à l’occasion de son anniversaire ….

    1. Oui, mille fois oui, la culture est fondamentalement la bonne réponse. C’est par inculture, entre autres déterminismes, que ces assassins détestent la vie, s’épanouissent dans la mort, sont vulnérables à tous les fanatismes, haïssent l’histoire antérieure à la révélation du prophète; c’est par inculture que leurs discours primaires séduisent d’autres ignorants; c’est par inculture que certains discours totalitaires tentent d’imposer un amalgame entre quelques milliers d’égarés et une grande civilisation. Merci.

      1. Ces mots de René Char, écrits en 1943, prophétiques :
        « Cette guerre se prolongera au-delà des armistices platoniques. L’implantation des concepts politiques se poursuivra contradictoirement,
        dans les convulsions et sous le couvert d’une hypocrisie sûre de ses droits.
        Ne souriez pas. Écartez le scepticisme et la résignation, et préparez votre âme mortelle en vue d’affronter intra-muros des démons glacés analogues aux génies microbiens ».
        (Feuillets d’Hypnos, n°7- Ce texte n’a pas été publié pendant la guerre mais après la Libération)

        Merci de vos paroles fortes et qui me semblent justes. Avec deux prolongements : l’obligation qui nous est faite de ne pas sous-estimer ces ennemis, une organisation riche et intelligente qui instrumentalise ces assassins sur lesquels on a tendance à se focaliser. Et puis, celle d’élargir le débat au-delà de l’Europe, même s’il nous faut chercher des solutions opérationnelles européennes, tout simplement parce que c’est ici que vivent nos enfants et nos petits enfants.
        Ces types, les mêmes, frappent à Tunis, au Nigeria, au Sud Liban, à Bamako et dans tant de lieux (http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/visuel/2015/11/25/les-actes-terroristes-de-l-etat-islamique-ont-fait-plus-de-1-600-morts-depuis-la-proclamation-du-califat_4817362_4355770.html)…
        ce qui éloigne au passage des discours sociologisants sur les dysfonctionnements de nos société comme cause privilégiée. Il serait bon que la psychanalyse, l’anthropologie (Girard), et le politique, à la faveur de cette horreur, retrouvent leur visibilité. C’est votre terrain, merci encore.

        1. Cette forte contribution me renforce dans la nécessité d’un combat sans relâche, et long, contre l’obscurantisme, la « bêtise au front de taureau » selon Jaurès. Et je vous remercie de nous rapprocher de René Char, l’indomptable. Pourtant je sens qu’il faut garder le sourire qu’ils veulent amputer dans nos vies. Par contre le risque de succomber aux démons internes porte certes le nom de résignation, mais aussi celui d’habitude: ils frapperont à nouveau, probablement, car ils ne pensent qu’à cela; nous n’avons pas le droit de subir, comme une tragique routine, ces attaques. « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », devise des Orange Nassau. Et cela dans le monde entier comme vous l’écrivez si justement.

          Il faut comprendre aussi pour dépasser le symptôme et démêler les étiologies. Je ne récuse pas les études des sociologues aussi longtemps qu’elles ne sont pas instrumentalisées pour justifier les volontés mortelles de daech. Mais il est vrai que nous attendons celles des psychanalystes sur le passage à l’acte, des criminologues sur une clinique des comportements de l’extrême et les préconisations géopolitiques des dirigeants du monde. Nous devons comprendre pour mieux frapper là où le phénomène se constitue. Les assassins sont les agents d’une construction historique complexe à déprogrammer à la base, dans les racines. Énorme travail: celui de la vie contre la mort. Chacun, dans son domaine de compétence, doit y travailler.

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