Persona 4: un témoignage

Sonia, une correspondante familière de ce bloc notes m’a confié, directement sur mon adresse de courriel , le texte qui suit, témoignage très personnel. Je publie tel quel, l’offrant ainsi à tous les commentateurs.

Psychomotricienne dans les écoles maternelle et primaire, ou « amuseuse d’enfants » 1983-84 en Haute Garonne. Formation et pratique. Témoignage sur un métier qui n’a pas perduré malgré toutes les vocations qu’il avait soulevées.

En racontant des souvenirs, on peut être tenté d’enjoliver ou de noircir des faits précis. Néanmoins la narration reste un témoignage si l’auteur est de bonne volonté. Je vais rapporter quelques épisodes de mon dernier métier, ceux qui se situent, dès son apprentissage. Avec intérêt, je m’étais lancée dans la formation de psychomotricienne dans les écoles publiques. C’était en 1983-84.L’Education Nationale a souhaité à un moment avoir deux rééducateurs, un en psychomotricité et l’autre en psychopédagogie, accompagnant un psychologue scolaire dans les écoles maternelles et primaires. Cette petite structure s’appelait un G.A.P.P.

Ma formation professionnelle s’est passée en deux ans dont le premier théorique. Elle faisait suite à un travail d’enseignante spécialisée que j’assurais depuis quelque temps dans une institution, et n’était pas une réorientation totale. Je travaillerais toujours au contact d’enfants avec l’objectif de les aider à bien grandir. Je n’avais pas l’impression de risquer un fourvoiement.

D’une manière inattendue, sur le terrain, j’ai été épaulée bien malgré moi, par un pauvre bougre de factotum qui n’y connaissait rien de rien à ce fichu métier de psychomotricienne que j’avais entrepris d’exercer.… Je faisais mes premier pas en partie dans l’école primaire et maternelle Jules Ferry où il travaillait. Il était persuadé qu’elle était inutile mon aide, que ce n’était pas du travail sérieux, qu’il fallait revenir à l’école d’avant. Il a essayé de me barrer la route, mais pas seulement. Je ne l’ai pas considéré, loin de là, au début, en tant qu’une sorte de formateur mettant à l’épreuve malgré lui, la solidité de mes convictions. Quel enquiquineur ! Il m’a bien provoquée. Ensemble nous avons communiqué toute l’année comme des branches, et nous nous sommes   quittés après un dernier affrontement. « Vous devriez faire votre mémoire sur ce bonhomme m’a dit mon directeur de stage en plaisantant car je lui en parlais dans nos rencontres. » J’ai choisi un tout autre thème, mais je me demande encore s’il y aurait eu matière pour traiter d’un tel sujet.

Je dois dire que le métier de psychomotricien, tel que j’en ai suivi la formation et tel que je l’ai pratiqué, n’existe plus aujourd’hui. Il est vite devenu inutile, mal apprécié. Nous usurpions aussi les compétences de vrai spécialistes formés à l’université. J’y avais cru. Nous n’avons pas su défendre ces postes d’enseignants spécialisés à la disposition des écoles. Pour évoquer, ma petite aventure sans lendemains je vais prendre parfois de petits détours, planter le décor, mais je ne saurais faire autrement.

L’histoire commence dans un gros bourg au bout de la plaine du Volvestre, quinze jours après la rentrée scolaire du mois de Septembre. Depuis ma voiture, au sortir d’un virage, j’apercevais les Pyrénées distinctement, proches, bleutées,….Je les saluais … Parfois elles paraissaient lointaines, presque effacées, indifférentes …c’est alors qu’elles annonçaient du beau temps. Ce voyage d’une quarantaine de Kilomètres que je faisais pour me rendre à mon travail me préparait à mes journées surprenantes, et le soir, à mon retour : un sas appréciable.   Je dois vous faire pénétrer dans un endroit particulier, peu exaltant, fixant souvent en chacun de nous, des souvenirs mitigés : le milieu scolaire. Si je prends ces précautions, c’est que, en 2015, ce milieu est pestiféré, accusé de tous les maux, soupçonné d’avoir installé notre médiocrité! Qui aimerait s’y perdre ? A ce moment-là nous ne pouvions pas prévoir dans quel trou nous allions dégringoler. Nous marchions vaillamment, avec trop d’insouciance peut-être.

Deux parents ennuyés, car cela ne présageait rien de bon, s’étaient rendus à l’école donc, pour parler avec l’institutrice de leur fils, comme elle leur avait demandé par téléphone, « ne les voyant jamais. »

Nous n’allons pas rester là, à écouter les propositions embarrassées, les hésitations, les inquiétudes…d’une rencontre de parents avec l’institutrice de leur enfant en difficulté scolaire. Cette dernière expression peut cacher un échec total, une tare. La honte submerge. Qui ne l’a pas vécu ne se doute pas de l’inconfort d’une telle situation. Bien sûr il y a eu des gorges serrées. Pas encore une blessure. L’enseignante n’avait pas dramatisé et leur avait redit que leur petit était sage, gentil, que ça allait s’arranger, qu’il fallait profiter de l’aide de cette rééducatrice en psychomotricité. Ils avaient donc accepté cette aide et toutes les procédures à faire pour cela. Ils voulaient coopérer aussi, ils lui feraient écrire les mots de la dictée du lendemain, le soir, et lui feraient réciter les poésies. Mais oui, si on s’y met tous, ça va s’arranger n’est-ce pas ?

C’est pour cela que je suis là, ce matin dans le couloir de cette école primaire du Volvestre, me dirigeant vers cette classe de CE2. C’est moi la rééducatrice en psychomotricité en question. C’est ma première heure de prise en charge de l’année scolaire qui vient de commencer à peine. Je suis en stage, en fin d’année je présente mon mémoire. Je vais à la rencontre d’un élève en difficulté, d’une enseignante en difficulté… « Il est tout à fait éteint, comme absent m’avait-t-elle dit en me présentant son cas. Il ne répond même pas. L’année dernière c’était pareil. Il semble ne pas comprendre. » La psychologue de la circonscription m’a informée que des tests le situent dans une zone d’intelligence « normale ».Elle a ajouté : « je ne sais pas ce que tu vas pouvoir faire !   Son instit a pas mal de bouteille et a tout essayé. » « Attends ma belle, mais je vais le faire plonger dans la rivière, nous allons nous perdre dans la forêt, construire une cabane, nous battre avec un loup féroce, enfin, vivre une aventure ! Elle a essayé ça aussi  sa maîtresse ?» «Non ! C’est toi la spécialiste ! J’attends de voir ! » Sérieusement, je n’avais aucun exercice précis à proposer si vous voulez savoir. J’ai vite compris que chaque jour j’allais me poser des questions sur ce qui allait se passer dans cette fichue salle de psychomotricité. Comment m’y préparer  au mieux? « Tu y es disponible c’est tout, le reste vient m’avait affirmé mon maître de stage. ».

Compte rendu de la première séance.

D’abord faisons connaissance avec cet élève. Je frappe nettement à la porte de sa classe.

– Daniel t’attend m’annonce sa maitresse cérémonieusement en ouvrant grand la porte. Elle a à côté d’elle l’élève en question.

C’est le petit renard blond que j’avais remarqué dans la cour, visage triangulaire, oreilles décollées, cheveux en brosse. Il baisse la tête. Je n’aimerais pas que ce soit un rapt sauvage.

– Tu veux bien venir avec moi ?

Il s’avance de trois pas et s’immobilise, tête basse. Je me penche vers lui.

– Tu me connais ? Tu m’as déjà vue ?

– Oui chuchote-t-il.

– Tes parents t’ont dit que tu allais venir avec moi ?

Il acquiesce de la tête.

– Et moi aussi je lui ai expliqué dit son enseignante. Il doit bien t’écouter et faire tout ce que tu lui dis, pas vrai, Elle sourit à son élève et le pousse vers moi.

– On y va !

Nous partons vers le bâtiment où j’ai installé la salle de psychomotricité, à deux cent mètres de la cour dans l’ancienne Ecole publique de Filles et de Garçons, aux cabinets à la turque, abandonnée pour une neuve, plus grande, moderne, et aux normes d’hygiène actuels. Nous sommes silencieux. Je pousse la grande porte en bois qui grince sur ses gonds. Une classe est de chaque côté du large couloir au plancher quelque peu disjoint. J’en occupe une, la plus ensoleillée. Du matériel qui m’est destiné a été déposé au milieu du couloir.

– Tu veux m’aider à le déballer ? On va porter les cartons dans la salle.

Il sourit.

Toujours mutique il s’avance vers un gros carton. Il essaye de le soulever en vain. A mon tour ! Je fais semblant de le trouver trop lourd.

– Aide-moi à le tirer.

Nous trainons le carton. «  On tire ! On tire ! Allez ! Allez ! »

Nous tirons trois cartons avec entrain.

Daniel sourit et tire aussi fort qu’il le peut. J’ai décidé de ne pas lui faire passer des tests aujourd’hui, d’agir ensemble simplement. Mais que faire? Que va-t-il me proposer ? Avec de grands ciseaux j’ouvre un carton d’un côté. Je lui propose de continuer ce qu’il fait adroitement et rapidement.

Nous dégageons un ballon rouge et des briques de mousse compensée aux couleurs vives. Daniel regarde le ballon, puis me regarde… Je considère cela comme une invitation. Je lui envoie le ballon d’un coup de pied. Je vais au fond de la salle. Il me renvoie le ballon avec application. Nous continuons le jeu en tapant de plus en plus fort, sans rien dire. Il ne manque aucun ballon ce qui n’est pas mon cas. Il maîtrise bien ses renvois. Tout cela sans un mot, seulement avec quelques rires.

Je pousse le matériel restant à déballer dans un coin. Je place deux vieilles chaises métalliques, l’une sur l’autre, en équilibre instable, entre nous, et nous essayons de les faire tomber à coups de ballon. Quel boucan ! Est-ce que les chaises vont se casser ? Se cabosser ? Se péter ? Est-ce que le plancher va résister? Je pose les questions à haute voix, à la cantonade. Daniel hausse les épaules me faisant comprendre qu’il n’en sait rien. Que va naître de ce bruit, de ce risque de détérioration, de ce détournement d’objet, de cette agressivité permise ?

– On y va ! Vlan !

Soudain Daniel s’assied sur le banc le long du mur, le ballon entre les mains

– Tu veux faire autre chose ?

Daniel acquiesce de la tête. Il reste assis quelques instants, puis, après un regard furtif vers moi, il va aux cordes à grimper. Il essaye de grimper à la lisse, puis à celle à nœuds que j’immobilise. Il arrive au plafond. Là- haut il passe sur la corde lisse, se balance, repasse sur la corde à nœuds. Je commente ses prouesses : «  Daniel prend la corde lisse dans ses mains, se laisse glisser ; se balance, reprend la corde à nœuds, remonte… » . Il me montre tout ce qu’il sait faire. Je l’enveloppe de paroles. « Il est fort, il sait bien prendre les cordes, s’y accrocher.» Daniel redescend, il abandonne les cordes, rouge, essoufflé. Il n’a échangé que des regards avec moi. Je lui annonce notre départ dans cinq minutes, et l’invite à s’asseoir sur le tapis, ou à s’allonger, comme il veut, pour se reposer. Je ne vais pas plus loin dans la relaxation. Il se rassied sur le banc sans rien dire. Je m’assieds sur le tapis. Silence. Il me surveille en coin. Au loin on entend un bruit de marteau piqueur. Je tends l’oreille en le regardant.

– Tu entends ?

Il semble réfléchir. Il fronce ses sourcils.

– C’est devant la mairie. Il y a des travaux me dit-il d’une voix distincte.

Ouf !

Nous repartons vers la classe.

–   Alors, il a bien travaillé me demande sa maîtresse, il a bien fait ce que tu lui disais ? Il ne t’a pas cassé les oreilles au moins !

Daniel me jette un coup d’œil inquiet.

–   Il est très adroit et très fort. Il s’est bien assuré dans un exercice de grimper et de changement de corde. Il a su me donner une information précise au sujet d’un bruit qu’on entendait. Je reviendrai l la semaine prochaine, à la même heure…

Je referme la porte de la classe doucement et pars chercher une petite fille d’un C.P. Ma première matinée n’a pas trop mal commencé …

Entre midi et deux je fais le compte rendu des séances du matin. Que pourrais-je faire de mieux ? Il n’y a encore aucun manuel à l’usage du travail quotidien d’un rééducateur en psychomotricité dans une école. Nous inventons un peu ce métier.

Le travail des rééducateurs attachés à des écoles primaires et maternelles, je l’ai déjà un peu évoqué, a été par la suite mis en cause au Ministère de L’Education, après un contrôle des connaissances scolaires acquises par la population d’enfants suivis en rééducation… Où ? Quand ? Mystère ! La presse s’en est emparée. Nos résultats n’étaient pas probants ai-je lu dans le Nouvel Observateur du moment car les résultats en orthographe et calcul ne s’étaient pas améliorés d’une manière significative. Etait-ce là notre seul objectif? Comme nous coûtions cher, en tant qu’enseignants supplémentaires exerçant sur des grands groupes scolaires, notre terrain d’intervention a été étendu sur une plus grande population d’enfants scolarisés, ce qui a fini par rendre exact le plus pessimiste des bilans. Nos actions étaient devenues du saupoudrage, nous nous appelions les maîtres G, dépendants d’un R.A.S.D, nous passions dans les écoles, parcourant des kilomètres d’un village à l’autre pour ceux qui travaillaient dans le milieu rural, ce qui a fait que j’ai abandonné très vite cette fonction. Mais à ce moment-là dont je vous parle, nous n’en étions pas là. C’était le début de la mise en place de ce corps de métier dans l’éducation nationale. Nous étions pleins de courage. Nous travaillions sur quatre groupes scolaires en principe. Jamais nous n’aurions pensé que l’école publique puisse entrer dans une décadence si importante quelques années après. Je faisais mes comptes rendus consciencieusement. Ils me permettaient de réfléchir à la séance, parfois avec de la chance à prévoir un type d’exercice ou de jeu pour la prochaine. Cette confiance qui nous était faite m’émouvait. Mon premier compte rendu a été bien succinct ! Je ne savais rien analyser profondément de la séance. J’avais improvisé. L’important c’est de savoir utiliser les opportunités disaient nos formateurs, et des tas d’autres assertions assez vagues sur le moment, à vrai dire.

J’avais voulu me renseigner sur cette formation avant de l’entreprendre et surtout sur cette nouvelle fonction assez mystérieuse. Le ministère de la santé en formait aussi. Y intervenaient des psychiatres et des neurologues et il y avait une prise en charge des rééducations sur le terrain par la Sécurité sociale après indication médicale. Un collègue averti m’avait expliqué comment on nous envoyait au casse-pipe à l’Education Nationale. Dans les écoles, vous allez être reçus à coups de pierres m’avait-il affirmé. Je pense que parfois cela a été le cas. Pour des collègues nous ne servions pas à grand-chose, puisque nous n’avions pas de classe ! Et ils n’acceptaient pas trop que l’on mette le nez dans la leur. « Un enfant en échec est mon échec m’a confié un jour l’un d’eux. Ça me ferait mal au ventre de le signaler pour qu’on s’en occupe à ma place. J’attends que ça s’arrange, je lui propose des exercices à son niveau…je ne vais pas le transformer en bon élève, ni moi ni personne, faut pas rêver ! »Que lui dire ? «  C’est formidable si tu lui proposes d’autres exercices, si tu t’adaptes à lui, si tu l’encourages, si tu ne le laisses pas tomber… en effet je ne peux pas faire grand-chose de plus !» Un rééducateur pouvait culpabiliser un enseignant sans y prendre garde, nous avions été suffisamment avertis de cela. Nous étions là aussi pour encourager, accompagner, partager des difficultés… tout en restant discrets. Etait-ce trop nous demander ?

C’est un métier étrange dont j’ose à peine dire le nom quand on me demande ce que je fais. Chaque jour je me pose des questions à son sujet. Personne n’en savait trop rien au début, dans le département. Les informations étaient diverses. Une musicienne m’a dit qu’il fallait avoir de l’oreille et connaître le solfège sur le bout du doigt. Le syndicat des enseignants m’a informée que seules les personnes ayant un fort barème pourraient candidater avec des chances, qu’il fallait aussi un avis favorable de son inspecteur et avoir quarante ans au plus ! Puis un prof de psychologie m’a conseillé de faire une analyse avec un psychanalyste ou une formation au psychodrame, que ça pouvait toujours me servir, qu’à ma place j’investirais là-dedans. Des profs de gym disaient qu’il fallait être en forme, aimer le sport, la gymnastique, les acrobaties. Quelles techniques fallait-il acquérir au juste ? Mystère ! J’aimais l’enseignement individuel, ou en petits groupes, puis, pour nous, dans les écoles, ce ne serait pas du soin, mais uniquement de prévention dont il s’agirait… Une formation, des stages ne me rebutaient pas. Envie d’aller voir ailleurs, de bouger…

Stage de flûte.

J’ai d’abord fait un stage de flûte, de trois jours pour réviser le solfège. C’était simple. Nous avons vite su où poser nos doigts. Nous étions une vingtaine venus de tout le département. Le dernier jour nous interprétions un morceau de « Carmina Burana ». Magnifique ! Cet air ne m’a pas quittée pendant un mois ! Si, Si, La, La, Si, Si, La, la, Si, Si, Do… . A quoi cela allait bien pouvoir me servir ? Ne te fais aucun souci m’a dit le conseiller pédagogique en musique, c’est le sens du rythme qui compte, et le punch ! Est-ce qu’on allait danser le sirtaki, est-ce que je devrais animer une chorale, déchiffrer des partitions ?

Vers le psychodrame.

Remplie de bonnes intentions, j’ai fait les démarches pour m’inscrire à la formation au psychodrame. J’ai dû d’abord passer un entretien avec l’animateur responsable.. Après avoir échangé quelques mots d’une grande banalité sur mes motivations il m’a jugée apte à suivre sa formation. J’allais savoir ce qu’était le psychodrame  véritablement. J’en ai conclu que cette formation pouvait enrichir mes compétences, même si le stage de psychomotricité ne m’était pas accordé par la suite, à cause de mon barème, de l’avis négatif de mon inspecteur ou d’une embrouille de l’administration. La première séance de psychodrame a été terrible mais j’y ai résisté !… Pas innocent le jeu de rôle ! Impliquant, déstabilisant !

Première séance de psychodrame.

Nous étions dix participants, des adultes exerçant des professions variées… Cette formation allait s’étendre sur deux ans, en dix week-ends chaque année. Nous voici donc, pour le premier, assis en rond sur des chaises inconfortables, avec deux animateurs, le médecin responsable et une psychologue clinicienne.  Nous nous sommes présentés succinctement. Je me souviens clairement de cette première matinée car j’y étais venue en observatrice au début, sur mes gardes, pleine de curiosité. Je n’ai pas tenu longtemps cette position ! Cette première séance a été déterminante pour moi. Les séances suivantes se confondent, se perdent dans mon souvenir quoique une, surgit parfois, elle m’amuse encore, mais c’est une autre histoire.

La consigne nous a été donnée. C’était simple comme un bonjour. On pouvait prendre la parole quand on en avait envie pour évoquer un fait, une situation vécue, récente ou ancienne, qui nous avait posé problème, touchant notre métier ou notre vie personnelle. A partir de cela, les animateurs allaient faire des propositions au groupe.

Mon voisin de chaise à ma droite a parlé le premier. C’était un homme d’une trentaine d’années, à l’aise, les jambes étendues devant lui. Il était guide en montagne. Il accompagnait des randonneurs sur plusieurs jours, des groupes mixtes de cinq ou six adultes. Son rôle était d’assurer un accompagnement par un parcours qu’il choisissait, à travers la montagne, non dangereux, et conduire ses clients le soir aux refuges, sains et saufs, pas trop fatigués, pouvant reprendre la route le lendemain. Il avait du mal à rester le leader parfois, ses clients pouvaient avoir des comportements variés qui mettaient en danger l’entente et la sécurité du groupe. Des surs d’eux, connaissant tout mieux que les autres, séducteurs, lui donnaient du fil à retordre. Le groupe est resté silencieux après cette présentation de difficultés.

« Nous allons jouer ça a proposé l’animateur. Choisissez dans le groupe des personnes qui vont prendre les rôles de ces individualités qui vous posent problème. » Mon voisin a choisi soigneusement dans l’assistance quatre clients dociles, une pleurnicheuse, un indomptable qui n’en ferait qu’à sa tête. «  Et les éléments de la montagne, pouvez-vous les choisir ? » demanda la psychologue ? Il y eut un rocher, un éboulis, un vautour. Le vautour était une jeune femme aux yeux noirs, pas contents du tout de jouer un charognard, mais bons, elle acceptait ! J’ai espéré passer à l’as, mais mon voisin se tourna vers moi ; « Toi, tu seras la neige » Diantre ! Pourquoi pas le brouillard, le vent ? « Douce ! Qui brille au soleil…. »

Quelle histoire ! Très vite, des disputes, des prises de risque inconsidérées, des jalousies, des piques, des ricanements… « C’est comme si on y était ! » dit le guide. Et lui, assez impuissant, essayait d’avancer, de diriger sa troupe. C’était pénible, on n’avançait pas, la forte tête était odieux, il se régalait. Le guide était au bord de la crise de nerfs.

Alors, obstinément, la neige s’est mise à tomber et j’ai énoncé : je recouvre, j’ensevelis, je dévale la pente, j’emporte le groupe. Je me mets à crier : je suis l’avalanche !  en renversant les chaises, les poussant  sur eux au risque de les blesser, anéantissant l’histoire avec fracas.

Nous récupérons les chaises et nous refaisons le cercle. L’animateur me regarde avec insistance me semble-t-il.

Nous avons passé le reste de la matinée à décortiquer, analyser ce qui s’était passé. Et notre ressenti, et celui des autres… et l’impuissance du guide,…. C’était passionnant. Mais, après l’éboulis le vautour et le rocher, il a été question de la neige. Il a fallu que j’explique  mon interprétation. Questions diverses, étonnement devant cette violence, cette avalanche imprévisible. Pourquoi imprévisible ? J’étais un élément naturel, pouvant être dangereux, dont on devait tenir compte, prendre garde ; beaucoup plus à craindre qu’un pauvre charognard qui ne s’attaquait qu’à des cadavres. Il fallait se méfier, être prudent, je pouvais détruire… là j’avais fracassé le groupe contre un rocher … Devais- épargner quelqu’un ? Devais-je me contenter de douceur, de figuration lointaine dans le décor ?  ». « Tu n’as pas entendu, le guide t’avait dit de la neige douce et brillante ! » «  Bon, arrêtez, leur ai-je crié ! Vous n’alliez pas torturer le guide toute la matinée, bande de sadiques ! ».« Tu défends qui ? » Ah ! Ces questions ! Le groupe me faisait front. Le guide pleurait.

Nous en avons pris tous plein la figure, c’est le cas de le dire, même les animateurs ont été mis en cause, mais eux en avaient l’habitude. A la fin du premier Week-End de formation nous étions exténués. Que nous renvoyaient les autres sur nos attitudes, nos paroles ? Est-ce que cette connaissance allait nous aider à comprendre certaines réactions ? Allions nous être plus aptes à nous mettre à la place de nos interlocuteurs ? Est-ce que cela allait enlever notre spontanéité, notre authenticité ? N’aurait-il pas mieux fallu faire un stage en usine, dans une entreprise agro-alimentaire, dans un hall de gare ?                                                

Quelques mots sur la formation théorique de l’Education Nationale.

A ma grande satisfaction, l’administration avait accepté ma demande de candidature et le stage en psychomotricité m’était accordé. Les cours ont commencé en Septembre dans une école normale d’institutrices de la ville voisine. Nous étions quinze participants venant de toute la région du sud de la France.. J’ai apprécié  les cours d’une psychologue psychanalyste mettant le groupe, les individus en situations et interrelations diverses, et ceux d’un anthropologue, ethnologue, disciple de Lévi-Strauss. Il était rentré de mission depuis peu. Déconcertants ses cours, brillants, nous plongeant dans des mondes inconnus, émaillés d’attitudes corporelles que nous avions intérêt à décrypter pour y répondre par la nôtre, car, c’est sur nos réactions qu’il se basait pour nous faire réfléchir ce sacré anthropologue ! Il m’a félicitée un jour pour avoir seulement penché la tête sur mon épaule, comme lui, en le regardant. (C’est vrai que je ne comprenais rien à sa question et que je ne voyais rien d’autre à faire!

Une praticienne de tests psychomoteurs nous a initiés à quelques batteries de tests, parlé surtout d’Ajuliaguerra et organisé un stage de deux jours de rencontre avec Bernard Aucouturier.

Un soir par semaine, je faisais aussi du théâtre d’ombres, avec quelques-uns de notre groupe et un animateur passionné de cette expression. Qu’une ombre puisse autant parler de nous est sidérant. Et l’animation des ombres nécessite une attention intense en même temps qu’un relâchement gestuel. Donner vie derrière le drap est très complexe.

Nos lieux de stage avaient été tirés au sort. Mon maitre de stage  que j’ai rencontré régulièrement dans mon année de stage pratique par la suite, m’a initiée à endosser ce rôle de rééducateur, qui consiste souvent à reprendre au début, avec les enfants, un parcours mal assuré et cela par l’intermédiaire du jeu .D’après lui, aucun geste détaché d’un contexte ne pouvait être efficacement travaillé. Il avait été un des premiers formés, à Paris, dans un Centre de Formation de l’Education Nationale. Est-ce que j’étais prête pour autant ? Cette année théorique était vite passée, le groupe des stagiaires avait bien fonctionné.

***

Aujourd’hui, qu’attend de moi l’institutrice ? Que cet enfant participe et parle en classe ! Hé ! Magicien qui passez, prêtez moi votre baguette magique ! Mais peut-être Daniel va me guider et aborder sa rééducation tout seul. Il suffit que je sache l’accompagner, être pour lui ce partenaire symbolique…que je lui ouvre la porte d’une expression qu’il refuse… Mais pourquoi le faire changer ? Il y a des gens peu bavards, silencieux. Ont-ils eu envie de parler un jour ? Est-ce un choix ? Une difficulté ?

Dans les quatre groupes scolaires où je dois aller, mon lieu de travail s’est improvisé, utilisant des salles polyvalentes de la commune parfois. Mon temps de travail qui est celui d’un instituteur puisque j’en ai le même statut, a dû être partagé équitablement entre les groupes scolaires du primaire et de la maternelle. De commune en commune les mêmes difficultés d’installation se sont rencontrées. De prime abord elles ne sont que matérielles, en réalité il s’agit de mon désir d’investissement des lieux où je travaille, de ma possibilité de partager ces lieux avec d’autres activités, école de yoga, séances de secourisme etc…. Je transporte du matériel dans ma voiture personnelle par chance spacieuse, avec un grand coffre. M’étant garée un jour à côté d’un marché, j’ai failli devoir payer l’emplacement de mon étal  et passer pour une resquilleuse !

Alors, tu ne seras là qu’un jour par semaine ? m’ont demandé des collègues. Etait-ce un reproche ? Un soulagement ?   Il a bien fallu que cela se passe de telle sorte que ce seul jour soit une vraie rencontre entre les enfants, les adultes et moi, et non un piège !

Je retrouve chaque école avec plaisir, curiosité. Suis-je attendue ? Je m’arrange pour être là avec les premiers arrivés et pour ne pas être pressée de partir le soir. « Tu vas te faire bouffer. » me dit ma collègue en psychopédagogie qui est là depuis l’année dernière et que je croise de temps en temps. Elle aussi va de groupe scolaire en groupe scolaire, mais elle est moins disponible. Elle travaille durant le temps scolaire, pas plus, par principe, et n’a pas accepté que nos réunions de concertation avec la psychologue se fassent en dehors de ce temps-là. J’ai fait preuve de patience envers des maîtres, d’abord hostiles à ma venue, avec des maires radins, des balayeuses effrayées à l’idée d’une salle en plus à nettoyer… De mes idées nouvelles, de ma technique invisible utilisant le jeu, ils n’en ont que faire certains.

Le travail de la psychopédagogue, plus axé sur le scolaire, pouvant se pratiquer sur un coin de table avec un cahier et des crayons est mieux accepté. «  C’est quoi toutes ces histoires de cordes à installer, de planchers à poncer ! Et tous ces cartons, ces tissus, ces bouteilles en plastique, ce bordel ! » J’ai envie de rire. Le travail d’un psychomotricien n’est pas connu, trop nouveau. Je comprends bien leurs réticences, leurs méfiances. Je choisis la patience.

Depuis deux semaines, il commence à faire froid. Dans cette école Jules Ferry de ce gros patelin, ma salle glacée aux radiateurs éteints à mon arrivée m’irrite. Je vais voir ce que l’on peut faire. Ce matin lorsque nous y entrons avec Daniel et Jérôme un autre élève du CE1, très lent en écriture, que je prends pour faire connaissance aussi, et observer le comportement de Daniel avec un de ses pairs), il y fait douze degrés. Nous allumons les radiateurs sans nous enlever nos anoraks. Je peux dire en passant, que par la suite j’ai proposé à Jérôme des jeux de dessin sur des grandes feuilles qui ont révélé un coup de crayon aussi rapide que le mien !Et de fil en aiguille, redécouvrant ensemble le sens de l’écriture, la forme des lettres sans crainte et émotion, les modelant, son geste a repris du tempo et de la vigueur. Mais c’est une autre histoire aussi que je n’aborderai pas ici. Nous gardons donc nos pelures en attendant que la pièce soit plus chaude. La séance est assez physique. Daniel vient avec grand plaisir me semble-t-il. Il parle peu, juste pour les réponses nécessaires. Il peut rester muet s’il ne sait pas. Sa maitresse m’a dit qu’il comprenait en fait ce qu’il lisait, quelle avait pu le vérifier.

Nous jouons à nous lancer un gros cube en polystyrène. Je leur propose de lancer un mot, en même temps. Daniel ne dit rien, il serre les lèvres. Jérôme lance des mots. A un moment donné les mots deviendraient comme des injures : « cochon, andouille, cul ! » Daniel rit. Enfin il arrive à dire « cube ! » en lançant son cube. Je romps les passes en renversant les cubes de la boite, près de moi. Nous faisons une bataille de cubes. Pan ! Pan ! Daniel participe avec entrain. Il se met à côté de Jérôme pour m’attaquer. Les coussins, les ballons me servent de projectiles. Boum ! Flash ! Jérôme et moi faisons seuls le bruitage. Puis je vais prendre une corde à sauter.

– Je vais vous attacher ! Vous ligoter ! Préparez-vous !
– Daniel soudain se précipite sur moi et essaye de m’arracher la corde des mains.
– Tu ne l’auras pas ! Je vais vous attacher solidement !
– Non ! dit Daniel.
– Je veux vous attacher !
– Non ! dit Daniel plus fort.
– Que dis-tu ? Je n’ai rien entendu !

Daniel se met alors à hurler :

– Non ! Non ! Non !

Il est étonné de ses propres cris. Il s’arrête net, inquiet. Nous sommes essoufflés.

J’entends des pas dans le couloir. J’ouvre la porte pensant que quelqu’un veut me dire quelque chose. C’est le Garde Champêtre, celui qui s’occupe aussi des écoles. Il farfouille dans une armoire. Cet employé de mairie sert un peu le factotum m’a-t-on expliqué. Il bricole pour la commune et l’école. C’est lui qui allume les radiateurs des écoles maternelles et primaires le matin.

Intrusion dans mon travail d’un employé de mairie hostile et tenace.

– Je prends des affaires dit-il en me tournant le dos. Sa grande silhouette sombre sans visage est hostile. Il sort en claquant la porte sans que je n’aie pu rien ajouter.

C’est la fin de la séance. On se repose un court instant sur le tapis, allongés. Daniel ferme les yeux. Nous faisons un petit bilan. Jérôme a aimé la bataille de cubes. Daniel ouvre la bouche, sourit, mais ne dit rien.

Je ne sais pas si j’avance avec ce petit renard. Du côté de l’école ça ne va pas plus mal. Quand j’ai dit à la maitresse un peu plus tard, qu’il avait de la voix, que ces cordes vocales fonctionnaient bien elle a ajouté : « En effet, je l’ai entendu crier dans la cour !je n’en suis pas revenue ! » Continuons à aller avec lui dans le frigo ! Il y a du progrès ! Le directeur m’a promis d’avertir le garde champêtre pour mes radiateurs. Il devra les allumer comme dans une classe, c’est son travail.

Mais ce matin, après les vacances de la Toussaint, le bâtiment de l’ancienne école où est installée ma salle est fermé à clef. Nous allons voir avec Daniel si le Directeur n’a pas la clef. Non, ce n’est pas lui, c’est le garde champêtre qui s’occupe de cette salle. «  Vas voir à la mairie me dit-il, il a dû oublier. Tiens, ajoute-t-il prends ton bulletin de salaire qui est arrivé hier. »

Je raccompagne Daniel dans sa classe, je vais avertir les autres enfants et leurs maîtresses. L’une d’elles me fait comprendre dans une mimique le peu d’estime qu’elle a pour cet employé de mairie.

Je me rends à la mairie. La secrétaire de mairie me dit qu’il a certainement oublié car je ne suis pas là tous les jours. Elle va consulter un tableau. Il est au terrain de foot m’informe-t-elle. Il a les clefs avec lui sûrement, allez voir si vous voulez…

Dehors j’hésite. Ce terrain est-il à ma gauche ou à ma droite ? Je m’informe chez le boulanger. C’est à un kilomètre me dit-il, après la station d’essence au bout du village. Je reviens chercher ma voiture.

Bon, ce n’était pas loin ! Je stoppe devant l’entrée du stade. Là-bas, près des buts, j’aperçois en effet le garde champêtre, sa haute silhouette qui s’active avec une pelle. Et je reconnais sa camionnette, d’où dépassent des manches d’outils garée devant les gradins. Il me voit arriver et me tourne le dos délibérément lorsque je suis près de lui. Décidément, c’est un goujat ! Il continue son travail. Je lui explique dans son dos, calmement ce qui m’amène, sans élever la voix. Il daigne s’arrêter de pelleter, se retourne et me regarde sous sa casquette à visière, bien enfoncée.

– Je comprends bien ma pauvre femme, hé !vous avez besoin de travailler comme tout le monde. Mais moi, ce matin j’avais autre chose à faire que d’aller ouvrir la salle !

J’essaye de lui expliquer simplement que je m’occupe des enfants, que les maîtres et les parents comptent sur moi pour les aider.

Là il devient rouge, il vocifère : «  Vous me prenez pour un C… ? Je vous ai entendus l’autre jour. C’est ça du travail ? Faire gueuler les élèves ? Vous pouvez rester chez vous ! Bordel de Dieu ! Si mon ancien maître avait entendu ces cris dans sa classe ! Dans cette classe, on y travaillait, on y préparait le certificat d’études Madame, et sans un bruit !  »

Je comprends que je ne pourrai rien lui expliquer, qu’il me faudrait du temps. C’est un nostalgique d’avant. J’en connais. Mais il vient de me déclarer la guerre. Je dois me battre et lui faire entendre raison. Alors, carrément, je sors mon bulletin de salaire, qui était resté dans la poche de ma veste. Aux grands maux les grands remèdes. Je pense qu’il va y être sensible le pépère.

– Je veux vous montrer ce papier. C’est mon bulletin de salaire. Venez -voir ! Lisez-le ! C’est vous qui me payez avec vos impôts, vous et tous les Français.

Il s’approche de moi, curieux, méfiant, haineux.

– Voyez ! Je gagne bien plus que vous ! C’est le peuple français qui me paye ! C’est vous qui me payez ! Si je ne peux pas travailler, je vais rentrer chez moi ! Sachez que je ne m’amuse pas, que je suis bien fatiguée le soir ! Je suis une enseignante supplémentaire dans les écoles, je sais ce que je fais, ce n’est pas du n’importe quoi ! Vous n’êtes pas mon patron !

Il a pris le bulletin que je lui tendais, il le lit attentivement et lentement. Il n’en croit pas ses yeux. Il le relit. Il me le remet sans me regarder, du bout de son bras tendu qui tremble un peu. Je veux enfoncer le clou. J’élève la voix à mon tour.

– Et de crier, ça peut faire du bien ! Vous m’entendez bordel?

Il me fusille du regard, jette sa pelle, monte dans sa camionnette et démarre à toute allure.

Depuis ce jour-là j’ai eu la salle ouverte et les radiateurs allumés. Mais je le sentais rôder autour de son ancienne école, dans le couloir. Il avait toujours quelque chose à aller chercher dans ce bâtiment lorsque j’y étais.

J’ai hésité à faire part de cet entretien désagréable avec le garde champêtre au directeur du groupe scolaire, puis j’ai décidé de me taire pour ne pas envenimer la chose, lui donner trop d’importance. Je lui ai laissé croire que c’était un oubli en effet la porte fermée ce jour-là. J’ai bien fait. Depuis, «  nous pouvions enlever nos manteaux tout de suite  »avait remarqué Daniel. Le bâtiment était toujours ouvert, les radiateurs allumés. Tout est bien qui finit bien ! Et si le garde champêtre continuait à jouer à l’espion, et me regardait de travers, c’était son problème, il ne me gênait pas et m’amusait même un peu. J’étais sans rancune. Je ne pouvais pas en vouloir à quelqu’un qui se souvenait avec respect d’un ancien instituteur sévère, préparant sérieusement ses élèves au certificat d’études, un examen que seuls obtiendraient de nos jours les meilleurs des classes terminales ! Pouvait-il comprendre ce qu’était la psychomotricité dans les écoles, moi-même psychomotricienne n’en détenant pas, loin de là, le centième des secrets ? Je me mettais un peu à sa place. De toutes manières je n’allais pas le changer ! Tu es trop retenue me disait mon maître de stage, tu dois avoir davantage confiance en toi et prendre toute ta place, c’est une pauvre andouille ton factotum.

Un mardi, qui n’était pas ma journée de présence habituelle, quelques jours après les vacances de Noël je suis passée à Jules Ferry, vers midi et demi. J’y avais rendez-vous avec des parents à treize heures. J’aperçois la camionnette du garde champêtre stationnée devant ma salle. Je stoppe ma voiture à côté. Ayant justement oublié le métronome, et en ayant besoin pour l’après-midi c’était le moment d’aller le prendre si la porte du bâtiment était ouverte. Elle l’était. Je me suis avancée dans le couloir en m’annonçant à la cantonade : «  C’est la psychomotricienne, n’ayez pas peur ! » j’ai poussé la porte de la salle de psychomotricité, et là, sur un tapis et les coussins, j’ai pu admirer le garde champêtre allongé, les jambes surélevées confortablement sur les cubes en polystyrène, en train de roupiller, la bouche ouverte ! Mon sang n’a fait qu’un tour. L’assommer ? Lui jeter un ballon sur la tête ? Je n’ai pas pensé à repartir sans bruit en refermant la porte, ce qui aurait-été plus malin, je le reconnais. J’ai entonné « Trois jeunes tambours » en tambourinant sur la table avec les clefs de ma voiture.

– Putain ! A-t-il fait en se relevant prestement et en remettant de l’ordre sur le tapis.

Il pleurniche presque. Il est ridicule.

– Mais qu’est-ce que vous foutez là, on n’est pas jeudi !
– Et vous, que faites-vous? Ce n’est pas votre chambre habituellement ?
– Je peux me reposer bordel !  Je bosse moi !

Il s’époussette, éteint le radiateur allumé près de lui et sort en marmonnant qu’ « ’il va fermer la porte, si c’est comme ça. » Je le suis, puis le devance en le bousculant dans le couloir. Dehors, je m’adosse à la portière de sa camionnette avant qu’il l’atteigne.

– Je dois rencontrer des parents à l’école. Ils ne pouvaient pas venir un autre jour. Je veux leur montrer la salle de psychomotricité et leur expliquer mon travail. Depuis que vous écoutez derrière la porte, vous devez en avoir une idée non ? Je ne fais pas que faire gueuler les enfants, vous avez remarqué ? J’ai des choses à dire aux parents, vous comprenez ?
– Faites ce que vous voulez, ça vous regarde !
– Prêtez-moi la clef de l’école. Je veux montrer la salle à ces parents. Je la ramènerai au directeur en sortant. Vous la reprendrez ce soir à cinq heures. Rendez-moi ce service.
– Putain de bonne femme ! La voilà !

Je serre la clef dans ma main au cas où il l’a reprendrait, me dégage de la portière. J’ai l’impression de dompter un fauve.

– J’ai eu de la chance de vous trouver. Vous êtes un chic type. Merci.
– Au moins vous, vous ne faites pas d’histoires me dit-il.

Il rajuste sa casquette, l’enfonce davantage sur ses yeux, grimpe sur sa camionnette et démarre bruyamment. Je sens une légère odeur d’alcool autour de moi. Je reviens aérer la salle quelques instants, puis je me rends à mon rendez-vous dans le bureau du directeur où m’attendaient déjà les parents.

– Faustin t’a confié une clef, plaisante le Directeur ! Tu as la côte !

Je ne lui ai rien dit de la petite sieste de l’employé de mairie sur les coussins, en plus ce n’était pas le moment. Je deviens complice du garde champêtre en quelque sorte. Je tolère son comportement, il peut le penser, je ne lui ai rien interdit. Cette salle ne lui appartient-elle pas un peu ? Est-ce si grave s’il va y faire une petite sieste en ne dérangeant personne  quand je n’y travaille pas ?

Lorsque j’ai découvert quelque temps après ,les boites de jeux , les feutres, les ramettes de papier rangés sur une étagère nouvellement installée sous la fenêtre et les deux tapis de sol suspendus derrière une herse coulissante le long du mur, j’ai d’abord été bien étonnée, puis ravie, mais très vite j’ai pensé que cela pouvait être une initiative du «  maître des lieux, » le garde champêtre. Il avait l’âme d’un petit chef. Voulait-il m’aider ? Me détruire ? A la cantine à midi j’ai remercié le directeur de cette amélioration dans ma salle. Il tombe des nues. Il n’en savait rien, je m’en doutais.

Cet ours mal léché, ce cerbère, ne va quand même pas s’occuper de mon installation, décider comment ma salle doit être rangée ! Cette intrusion m’énerve. A première vue, c’est sympathique, mais n’est-ce pas le signe d’une véritable installation de sa part ? Un locataire clandestin ? Est-il attiré par ma personne, par les enfants ? Est-ce un refuge pour lui, un antre ? Le lieu d’un futur crime ?

J’explique tout cela à mon maitre de stage déjà au courant du personnage et à mon directeur de mémoire. Ce garde champêtre les l’amuse beaucoup. Ils me le font décrire : un grand type maigre, agité, en bleu de travail le plus souvent, chaussé de brodequins cloutés, avec une casquette enfoncée jusqu’aux yeux et un foulard rouge noué autour du cou, bien serré, par tous les temps. Mal rasé. Quant à son âge, il n’en a pas. Il ressemble au facteur, dans « La fête au village » le vieux film de Jacques Tatie. Cette comparaison les fait rire encore plus fort. Ils me demandent si je me sens menacée. Pour le moment je n’ai pas peur de lui, mais je dois le gérer.

– Prends le en rééducation me dit mon maître de stage !

Mais à part cette plaisanterie, ils ne savent pas quoi me conseiller.

 

Puis tout s’est tassé au cours des jours. Il n’y avait pas de quoi paniquer ni faire des histoires. . Le garde champêtre me saluait en portant la main à sa casquette, comme il faisait à nous tous, les enseignants, poli et distant, maugréant parfois dans sa barbe, mais ne s’adressant à personne en particulier. Un ronchon ! Je n’y faisais plus attention. Je ne me sentais plus observée. Est-ce qu’il continuait à faire la sieste sur mes coussins les jours où je n’y étais pas ? Je ne lui ai pas demandé et je ne remarquais rien de particulier dans la salle. Ni vu, ni connu ! Pourquoi pas !

Un jour, cependant, j’ai constaté la disparition d’un objet que j’avais choisi pour être à la disposition des enfants dans cette salle. Parmi plusieurs tissus et jupes amples et chamarrées j’avais rangé dans le coffre à déguisements un carré de soie couleur paille brodée de fines perles rouges et blanches. Ce tissu brillant m’avait été donné par ma couturière il y avait quelques années. Je l’avais longtemps gardé soigneusement plié dans un placard. Il venait d’Istanbul. C’était ce qui restait d’une magnifique robe de soirée parait-il. Il en « jetait », aussi avait-il un grand succès pour tous les déguisements de princesses et de reines. En particulier une petite fille l’affectionnait. Il était presque magique ce tissu. Il donnait de l’assurance, de l’autorité, de la grâce….pour peu qu’une pavane l’accompagne. La petite Marion en avait bien besoin, fillette d’une famille démunie sur bien des plans, vêtue d’habits délavés, ça la faisait rêver ces déguisements…Elle venait dans ma salle souffler un peu car sa vie de sœur ainée remplie de tâches ménagères et de moments de garde des petits frères chez elle l’épuisait. Il n’y avait là-bas aucune place pour le jeu ni pour la danse. Elle se réfugiait dans ma salle au moment de la gymnastique qui l’aurait épuisée. Son petit visage tendu se décrispait, un sourire renaissait sitôt entrée. Elle commençait tout de suite son jeu préféré, celui de la princesse.

« – Tu serais ma servante. Ma fille, écoutez-moi bien. Voici la liste de vos occupations jusqu’à la nuit tombée : peler des oignons, balayer la terrasse, mettre la table, étendre le linge, et j’oubliais, peler les pommes de terre….Pendant ce temps je descends au jardin cueillir des roses et m’amuser un peu.

Je chantonne pour accompagner sa promenade tout en faisant semblant de travailler. Je soupire.

– Bon, arrête-toi. Maintenant ça serait le bal…. Tu serais un prince et tu m’inviterais à danser….

J’enclenche le magnétophone. Je suis un prince, révérence, baise main….J’augmente un peu le son.

Trois pas vers la droite, trois pas vers la gauche, on tourne, et révérence…Je lui prends la main et nous faisons le tour de la salle à pas lents.

« Belle qui tiens ma vie, captive dans tes yeux, qui m’as l’âme ravie, d’un sourire gracieux… »

Sous le tissu lumineux chargé de perles les yeux de Marion pétillent.

Ça se passe toujours un peu de la sorte cette rééducation particulière… Par la suite cette petite fille a été mise en pension, ainsi qu’un de ses frères. Ils rentraient chez eux les weekends, cela lui convenait. Une aide familiale a été octroyée à la mère malade.

La pavane terminée nous rangions en silence …En fin de séance, parfois Marion me confiait ses soucis de petite fille chargée des tâches domestiques variées, leur manque d’argent… Parfois elle me parlait de quand elle serait grande…   Elle aurait des jolies robes, et serait maîtresse, ou comme toi me disait-elle, amuseuse d’enfants dans une école.

Mais un jour, elle ne trouva pas le joli tissu, malgré nos longues recherches un peu partout dans la salle. Elle voulait savoir qui l’avait volé, faire le tour des classes…Très mécontente, frustrée, attristée ma petite princesse ! Je pouvais la comprendre. J’ai remplacé le plus vite possible le tissu en soie par un long foulard irisé …  Cette disparition est restée un mystère. Qui entrait dans cette salle ? Le garde champêtre ? La balayeuse? Qui avait commis le larcin ? Qui des deux se coiffait du tissu emperlé pour faire la danse du ventre ? Ils me semblaient disculpés, ils n’avaient pas la tête à ça.

Depuis cet incident, j’ai tout vérifié chaque semaine. Plus rien n’a disparu… Où était-il parti ce bout de robe  de bal? Tous ces pas de danse qui l’avaient balancé au rythme d’une musique légère…Valse, mazurka, pavane….  Avait-il terminé son parcours transformé en vulgaire chiffon ? En psychomotricité il ne faut s’effrayer d’aucun long cheminement.

Contre toute attente, la rééducation de Daniel s’est bien passée et a eu des résultats rapidement. Il a fini par exprimer beaucoup de violence dans la salle. Des mots orduriers, scatologiques sont sortis .Nous avons joué quelques affrontements dont je ne percevais pas bien le sens, toujours avec la corde, et proposés par Daniel ces fois ci. Je devais essayer de l’attacher, mais lui se défendait et m’arrachait la corde des mains en m’invectivant. Puis nous avons fait les clowns, chanté des bêtises en nous accompagnant de percussions improvisées avec des objets divers…Un jour sa maîtresse m’a dit : «  Je ne sais pas comment tu as fait, Daniel a levé le doigt pour passer au tableau en conjugaison ! Il participe !!» Nous avons convenu qu’il avait démarré, qu’il n’avait plus besoin d’aller en psychomotricité, qu’il fallait arrêter pour ne pas l’habituer à cette aide, et qu’il puisse se débrouiller tout seul. Daniel ne deviendrait sans doute pas un tribun, mais s’il savait prendre sa place s’ancrer dans le présent de la classe, le vivre, ça serait parfait. L’enfant a été d’accord. Il avait beaucoup grandi. IL était tout fier de nos compliments le petit renard. Plus tard mon maître de stage m’a dit que peut-être je l’avais lâché trop tôt, qu’il ne fallait pas craindre de continuer un peu la prise en charge même s’il y avait une grande amélioration. Avait-il raison ?   La confiance que je faisais à la maîtresse et à l’enfant me semblait importante pour cet arrêt. Cette amélioration s’est stabilisée heureusement. .. Sommes-nous si indispensables, nous les psychomotriciens ? Un maître suffisamment à l’écoute, encourageant, ne peut-il suffire ? «  Non, car il ne peut pas mener un travail individuel hors de la pratique scolaire classique me répondait mon maître de stage. » Si l’on veut !

Comme les démarches pour la prise en charge d’un autre enfant remplaçant Daniel en début de matinée n’étaient pas terminées ce jour-là, à cause de parents précautionneux, qui avaient voulu demander conseil à leur médecin de famille, je suis partie vers la salle de rééducation toute seule. J’allais continuer mes comptes rendus et revoir des résultats de tests, peut-être vérifier la bonne marche des crayons feutre, jeter des cartons inutilisables, plier des tissus… Presque sur mes pas est arrivé le garde champêtre. …J’étais donc surveillée. Il a entrouvert la porte sans frapper, mais je l’avais entendu arriver avec ses souliers à clous et ses pas pesants.

– Les radiateurs marchent bien ? me demande-t-il, affable.
– Vous pouvez entrer si vous voulez vérifier.

Il entre, va vérifier les radiateurs, et reste debout au milieu de la salle. L’objet le plus lourd qui est à ma portée est un poids de un kilo en fonte à côté de la balance romaine … Le garde champêtre est immobile, silencieux. Attend-il quelque chose de moi ? Je décide de le remercier de son initiative de rangement, sans être absolument certaine que ce soit vraiment lui en fin de compte.

– Dites-moi, Je vous remercie pour l’étagère et le rangement des tapis, ça me rend bien service.
–   C’était un peu le bordel ici. Ça ne m’a pas coûté beaucoup. J’avais ce qu’il faut sous la main pour le faire.

Il est toujours planté comme un piquet à me regarder. Veut-il me dire quelque chose ? Il a l’air hésitant le bonhomme. Je lui montre une chaise près de la table et l’invite à s’asseoir, ce qu’il fait. Je m’assieds en face de lui. Allez ! Je vais être gentille !

– Parlez –moi de cette école, de cette classe où nous sommes. Vous avez l’air de bien l’aimer.
–  Bof ! Beaucoup s de ceux qui y sont passés sont partis : le Michel, le Raymond, le Robert…Monsieur Loubet, notre instituteur est mort, juste après sa retraite le pauvre. Avant l’autorité existait. Ici, il fallait se tenir droits. On écoutait. Maintenant, rien ne tient plus debout.
– Vous étiez un bon élève ?

Il ne me répond pas. Il pose sa casquette sur la table et je vois enfin son visage en entier. Il est assez dissymétrique… Il a un grand front, traversé d’une ride profonde et des cheveux raides, poivre et sel. Ses yeux sont très enfoncés, clairs, ses sourcils épais en broussaille, son nez busqué. Il était comment ce petit garçon là, il y a des années ?… Il soupire.

– On pouvait pas se douter de tout ce qui allait arriver…
– Des sales histoires ?
– Bof ! La vie ! Le Raymond qui l’aurait pensé, toujours prêt à se foutre du monde, il est mort dans un accident de tracteur, sous mes yeux, à cinquante ans, et le Robert lui, est tombé de son échelle en montant sur son toit. Une vieille échelle toute pourrie ! Je le lui disais qu’il devrait la changer ! C’est la vie…

Je n’ai pas envie d’entendre parler des malheurs de tous ses copains. J’oriente mon interrogatoire, vers cette classe qu’il a du mal à abandonner, où une partie de lui-même y tournoie obstinément.

– Comment était-il votre instituteur ?
– Sévère. Lui était sévère, mais juste. Ça oui, juste. Ici, on travaillait. Des gens comme lui il n’y en a plus. Il n’aimait pas les fainéants, ni les peureux, ni les mouchards.
–   Vous l’avez eu votre certificat d’étude ?
–   Monsieur Loubet n’y présentait que ceux qui allaient réussir ! Il fallait connaitre tous les départements et leur chef-lieu et poser une règle de trois sans hésiter, et dire sa conjugaison sans une erreur ! Cinq fautes à la dictée, vous aviez zéro !

Je n’insiste pas. Je suppose qu’il l’a eu. Mais peut-être pas.

– Et dans la cour, vous jouiez à quoi ?
– Les garçons on jouait aux billes, …dit-il sans grande conviction. La cour, c’était calme même si on m’appelait Macaroni quand Monsieur Loubet n’était pas par là. On est italiens, mes parents n’étaient presque pas allés à l’école en Italie… En dehors de la cour de récréation, c’était pas pareil. Une fois, le Raymond, il m’a fait manger des crottes de chèvre, par force, en me disant que c’étaient des olives ! Il n’a rien perdu pour attendre : un jour je l’ai à moitié assommé avec une bûche! C’était pas du cinéma ! Même nos parents n’en ont rien su.

Ses épaules sont secouées d’un rire silencieux. Il se gratte le front. Il a quelque chose à me dire. Essayons d’ouvrir une porte de son placard ! Il y garde un petit paquet pour moi, j’en suis certaine. Je vais l’aider.

– Vous m’en voulez de travailler dans votre ancienne salle de classe ?
– Je ne comprends pas ce que vous fabriquez avec les enfants. Vous n’êtes pas une mauvaise personne. Vous les faites jouer ! Mais ils ne savent faire que ça toute la journée ! Il faut une pièce entière dans chaque maison pour ranger leurs foutus jouets ! Et à l’école vous y allez encore ! Quelqu’un en plus pour les faire jouer ! Payé pour ça ! Et allez donc ! Si on leur apprenait à travailler, comme avant, ça ne serait pas mieux ?
– Ici, les enfants posent leur sac rempli de soucis… Ce n’est pas parce qu’ils jouent plus qu’avant qu’ils n’ont pas des soucis vous savez. Parfois ils le vident avec moi. Je joue avec eux, vous croyez que je m’amuse tout bêtement ? Je les aide à vider leur sac.

Il se gratte la tête.

–   Quel sac  rempli de soucis ? Trop de gâteries oui! Ce sont les rois de la pampa ! Mais je vais vous dire moi. Quand j’ai vu le petit du voisin, le Daniel, venir ici faire le con, ça m’a mis les boules ! Il ne travaillait pas bien à l’école m’a dit son père, et de venir ici, ça allait mieux le faire travailler ? Allons ! Une paire de taloches oui !et un coup de pied au cul, vous auriez vu s’il n’allait pas mieux travailler ! Parce que quand je lui ai demandé ce qu’il faisait dans cette classe, au petit, il m’a dit : « je fais le con ! » Si lui-même le disait alors ! Son père non plus ne comprenait pas à quoi ça pouvait servir, mais bon ! Vous croyez que c’est grâce à vos conneries que ça s’est arrangé à l’école ?

J’ai reçu un coup de poing en pleine figure sans m’y attendre .L’affreux jojo ! Allons,   il a dit cela sans malice mon petit renard… Je ris, je ne peux rien faire d’autre, j’éclate de rire.

– En effet il a fait le con comme il dit. Il en avait besoin, sinon pourquoi l’aurait-il fait hein ? Ah ! Le gentil petit con ! Quel petit con !

J’en ris encore. Puis sérieusement en essayant de capter son regard enfoncé d’animal méfiant.

– C’est comme ça qu’il s’est exprimé le gamin. Il manque un peu de vocabulaire, de mots plus exacts pour désigner ce qu’il faisait dans la salle. S’il avait eu les bons mots il aurait pu dire : je m’exerce à m’affirmer, à prendre ma place, à avoir confiance en moi et à comprendre qu’un adulte ne va pas forcément me manger, enfin des choses comme ça. Vous comprenez ? Monsieur Loubet devait en faire du vocabulaire, souvenez-vous. Par exemple pour dire avoir peur on peut dire : être angoissé, épouvanté, effrayé, terrifié, paniqué, ou d’une manière plus ordinaire, avoir la frousse, la pétoche, faire dans son froc. Vous comprenez ce que je veux dire ? Un jeune enfant n’a pas un vocabulaire très riche encore, surtout si autour de lui il entend toujours des mots ordinaires.

Il se gratte le nez. Il se gratte la nuque. Quelle vacherie va- t-il encore me sortir ce gratteur de merde ?

– Elle vous l’a dit sa mère de quand il était petit ?
– ?

Sa mère ne m’avait rien dit de particulier à notre rencontre. Je l’interroge du regard.

– Il est arrivé trop tôt le petit, il est resté longtemps à l’hôpital, quatre mois. Sa pauvre mère était malade, on a cru qu’elle allait y passer. C’est une fille qui a une petite santé. Quand il est sorti de là-bas il pleurait sans s’arrêter et avait peur d’elle. Elle a dû se mettre une blouse blanche d’infirmière pour qu’il se calme ! Pardi, il ne connaissait qu’elles, les blouses blanches ! Il est sauvage ! Son père m’a dit qu’il ne parlait pas à l’école. Peut-être qu’il avait peur de quelque chose encore, c’est pour ça ? Allez savoir !

– Vous voyez, que vous comprenez ce que je fais. Je l’ai aidé à avoir moins peur en vrai, en jouant.
– Ouais ! Chacun son métier ! C’est quoi votre métier, motricienne ?

Je ne lui réponds pas. Il se cale sur la chaise, se frotte le visage. Il souffre vraiment de démangeaisons  le pépère. Il ferme les yeux, les cache avec ses mains et reste un court instant immobile. Quelles images défilent dans sa tête ? Pour l’instruire davantage sur mes techniques, le rassurer tout à fait, le remercier de ce réel intérêt qu’il porte à l’éducation, et terminer avec simplicité je place devant lui un puzzle que font les jeunes enfants de huit ans d’habitude.

– Tenez, parfois on travaille avec des jeux comme ça, des puzzles. Je chronomètre avec quelle rapidité on peut les faire et refaire. Les élèves prennent des informations rapidement, les mémorisent, font confiance en leur perception, s’aperçoivent que l’on peut aller de plus en plus vite en s’exerçant…

J’éparpille les morceaux de puzzle sur la table. Vous voulez essayer ? Je l’y invite en riant. Je me dis que je suis une chipie, qu’il va croire que je me moque de lui en le prenant pour un enfant, qu’il va m’envoyer dinguer avec mon puzzle.

– Je n’ai jamais fait ça.

En effet je pense qu’il n’a jamais touché un puzzle à voir son expression empreinte de curiosité.

– Allez-y. Il faut recomposer l’image avec les morceaux.

Il rit. Il déboutonne sa veste, il rapproche sa chaise. Et se met en mesure de construire le puzzle : une jolie vache blanche et noire dans un pré fleuri avec une barrière dans le fond.

–   Un, deux, trois ! J’enclenche le chrono.

Ce n’est pas facile pour lui. Il cherche péniblement les bonnes pièces, ne les reconnait pas du premier coup, les retourne dans tous les sens, les repose, en prend une qui n’entre pas dans la découpe, essaye de la forcer. Il transpire. Il s’énerve, repousse le tout. C’est pathétique. Je ne veux pas le vexer. Je le rassure en regroupant le puzzle et en disant :

– C’est pour les enfants ! Eux ont l’habitude.

Il se lève, revisse sa casquette sur son crâne en sueur.

–   Je n’ai pas du temps à perdre, vous m’avertissez si les radiateurs ne marchent pas bien. A la prochaine !

Il sort dans le couloir en oubliant de fermer la porte de la salle. Il laisse aussi la porte du bâtiment ouverte. Par la fenêtre je le vois s’approcher de sa camionnette d’un pas de somnambule. A-t-il eu un malaise ? « Dans une salle de rééducation rien n’est anodin de ce qui s’y passe. » m’avait dit mon maître de stage.

Cette fois, il faut « officialiser » la chose, sans dramatiser, j’y suis décidée. J’informe le directeur que le garde champêtre fait la sieste parfois dans la salle de psychomotricité, quand je n’y suis pas. Que je n’y vois pas d’inconvénient après tout. Qu’en pense-t-il ?

– Ce n’est pas un mauvais bougre, même s’il a un caractère de cochon. Il doit être plus tranquille ici! Tu as bien fait de me le dire.

Son échec au puzzle ne l’a pas anéanti. Faustin ne manque pas d’idées. Ce jour-là, vers treize heures, j’étais déjà dans ma salle. Nous avions tous pris le café rapidement après le repas à la cantine, sans aborder les longues discussions habituelles, et étions partis préparer notre travail dans nos classes. Cela arrivait de temps en temps, j’appréciais ces moments de tranquillité.

Mais voilà des pas pesants bien reconnaissables dans le couloir. La porte s’entrouvre.

– Vous êtes là ? demande le garde champêtre.

Sans répondre je m’approche car il est resté dans le couloir.  Il cache quelque chose sous sa veste, contre lui. Il me regarde en souriant et extirpe un jeune chat roux. Il le tient dans ses grandes mains précautionneusement.

– Il est abandonné. Ici il sera tranquille, et il y a des souris en pagaille.
– Prenez-le chez vous ! Je ne le veux pas !
– Ici il sera utile. On en a déjà deux à la maison.
– Vous voulez le mettre dans ma salle ?
– Dans l’école. Le soir je l’enfermerai dans cette classe, il y fait plus chaud et il trouvera un coin pour dormir. Je le nourrirai tous les jours. Il se promènera par là-dedans, il a même la remise pour lui. Il pourra sortir par la chatière, je vais la débloquer. Il y a eu toujours un chat ici. Ils y vivent bien.

Je m’agrippe au mur. Que faire ? Hurler ?appeler à l’aide ? Je me maitrise. Je ne jette pas un regard apitoyé sur le chat, je ne tends pas la main pour le caresser…. Et si je me mettais à crier que je ne veux pas de cet animal dans ma salle ?que c’est interdit par la loi !Que je préfère avoir des souris, que j’adore les souris ! Je respire un bon coup.

– C’est comme si vous ne m’aviez rien dit, je ne veux pas savoir, je ne m’occupe d’aucun animal…
– Je ne vous demande rien, je vous avertis.

Je referme la porte sous son nez.

Je l’entends un moment dans le couloir, dans l’autre classe,…IL lui fait visiter la maison.

-Minou, minou….

Puis la porte se referme et c’est le silence.

Quand je suis sortie chercher les enfants la chatière était débloquée mais pas un seul petit minet dans les parages ! Je n’ai pas voulu savoir où il se planquait…

Que faire ? Si j’étais là tous les jours ce serait plus simple de défendre mon territoire, mais là je n’ai même pas la clef de mon local !

J’avertis les enseignants au cas où il y aurait des allergies connues chez leurs élèves. Ce chat ne leur pose aucun problème.

– Il va chasser les souris dit le directeur, je l’ai déjà vu, il est roux, il rôde en miaulant par ici depuis quelques jours.

Tout va bien alors.

En fait, il ne m’a jamais gênée le minou. Il ne faisait pas ses besoins dans la salle. Où pouvait-il dormir ? Sur les coussins ? Sur la table ? Sur le coffre ? Par la suite, je l’ai aperçu deux ou trois fois, autour de la vieille école, très discret, occupé, m’ignorant totalement.

Mon maître de stage à qui j’en ai parlé riait aux larmes. Il m’a conseillé du répulsif pour chats. Puis, plus sérieux: « Allez, tu peux bien le supporter un peu ton amoureux, ne sois pas trop inquiète, un peu de patience…. »

– Amoureux ? Certainement pas !
– Bon, il te cherche ! Et des souris, tu en as vues a-t-il ajouté ?
– Pas une en effet !
– Tu vois ! De l’utilité d’un chat !

Tout est bien qui finit bien.

En psychomotricité tu peux t’exprimer par images, et d’aucune intrusion tu ne t’effaroucheras et de la générosité des autres non plus, et, jour après jour tout sentiment d’orgueil tu écarteras…et les distances garderas avec qui voudra te dominer….Trop tard !

Ce garde champêtre me prend la tête. C’est idiot, mais il est le seul problème de mon année de stage et des quatre groupes scolaires où je me rends. Ailleurs en tout cas je m’occupe uniquement d’enfants, ce pour quoi je suis payée ! Et si des adultes me sont plus sympathiques que d’autres, c’est tout à fait banal. J’en parle ce soir à ma séance de Balint mensuelle. Quatre collègues que j’apprécie y participent. Ensemble, nous reparlons de nos problèmes de travail. Le psychiatre qui anime cette réunion est intrigué par l’histoire du puzzle. Il semble penser que cette personne risque d’être assez touchée au point de vue neurologique, que son état peut s’aggraver, qu’il a en plus un comportement agressif, régressif, que je dois être vigilante. Les autres participants, l’auraient vidé de la salle, seraient allés avertir la mairie, n’auraient pas accepté.

– Attention, il est en train de se réapproprier sa classe! Il y loge ses bestiaux. Il Tu l’as mis en échec, un jour il va être violent. Il ne doit pas avoir que des bons souvenirs dans cette vieille école !
– Je n’ai pas peur de lui mais vous avez raison, il est trop présent.. . Je vais prendre des précautions.

C’est pourquoi j’ai demandé à mon maître de stage de venir assister à mon travail dans cette salle. S’il m’y voit avec un autre adulte le factotum sera moins téméraire. Je lui avais suggéré d’arriver en costar cravate pour impressionner un peu, mais quand il est passé me prendre en voiture il arborait son éternel survêtement bleu marine, ses basquets et son sac à dos en bandoulière.

– Tu as vu m’a-t-il dit, je me suis rasé et j’ai bien attaché mes cheveux pour faire sérieux !

Une émotion quand même, de l’amener « dans ma salle » et l’idée de travailler devant lui me donnait un peu le trac. J’avais une haute opinion de ses compétences, de son intuition. Je l’avais vu travailler, un jour par semaine, l’année dernière. J’avais participé, mais je n’avais jamais été en responsabilité totale devant lui. Plus que celle d’un inspecteur cravaté sa présence allait m’impressionner.

Nous sommes arrivés juste avant le directeur ! Il nous a suivis un moment dans les virages. Jamais je n’avais parcouru ce trajet aussi vite. Devant l’école, sitôt descendus de voiture, je m’apprêtais à les présenter, mais ils se sont exclamés, tapé dans le dos, pris dans les bras. « Gégé ! » « Hérisson ! »

Leurs souvenirs de colo se sont égrenés jusqu’à la rentrée des classes. Nous plaisantions en riant fort. Des élèves nous regardaient avec curiosité. L’un d’eux, un CP, est venu prendre la main « du hérisson » que toutes appelaient déjà Roland et que je vais continuer à dénommer ainsi.

– Tu es un nouveau maître ? lui demande l’enfant.

Cette soif de figures masculines ! Nous l’avons encore une fois constatée. Faut faire avec ! Là nous étions cinq femmes et deux hommes. Nos réflexions n’y pouvaient rien, la classe a commencé à neuf heures pile.

C’était le tour de Manuelle de venir en psychomotricité. Nous sommes allés la chercher dans sa classe de CP. Elle a regardé Roland en souriant. Je lui ai expliqué qu’il venait passer la journée avec nous, que c’était mon invité.

– On va bien s’amuser lui a –t-il dit dans le couloir.

Je l’avais informé en voiture au sujet de cette élève. Ce signalement était pour un refus massif d’apprendre à lire totalement inexpliqué pour le moment. Elle avait aussi refusé de participer aux tests disant par avance qu’elle ne savait pas le faire, qu’elle ne voulait pas essayer. La psychologue n’en revenait pas. Ni la promesse d’une petite récompense si elle essayait ne l’avait pas faite changer d’avis. Cette élève venait d’arriver depuis un mois à l’école. Elle était la dernière d’une famille nombreuse de marchands forains qui s’étaient installés dans le bourg depuis peu. Ses parents suivaient toutes les foires de la région. Une grand-mère qui ne parlait pas trop bien le français la gardait.

Roland a été admiratif en entrant dans la salle.

– On est bien ici ! Tu es bien installée !

Ce premier moment de rééducation où chaque fois j’utilisais le fortuit était particulièrement stressant avec cet observateur, même s’il était devenu un ami. Laissons-nous aller, respirons… Je me suis adressée à Manuelle, prenant le risque d’être un peu trop directive mais basta, il fallait y aller !

– Roland t’a dit qu’on allait bien s’amuser ! Tu veux qu’on joue à quoi ? A la maîtresse ? À la marchande ? À papa-maman et l’enfant ? Ou bien à quoi d’autre ?

Sans hésiter Manuelle nous dit qu’elle veut jouer à la marchande. Et que ce serait elle la marchande. Nous l’aidons à installer son stand. Je lui donne la boite de pièces et billets. Le jeu a commencé sans hésitation aucune. Nous nous sommes aperçus très vite qu’elle savait compter, rendre la monnaie, qu’elle ne se laissait pas dérober un centime, même si on insistait en essayant de la distraire ! Une caissière brillante ! Nous n’aurions pas fait mieux, loin de là ! Puis nous avons dessiné chacun quelque chose que nous aimerions acheter avec plein d’argent. Elle avait dessiné le soleil en le coloriant en jaune et rouge, avec de grands rayons remplissant sa page, mon maître de stage un grand voilier et moi un hélicoptère ! « Le soleil c’est pour que ce soit toujours l’été où je suis »nous a-t-elle dit. Comme une princesse ! « Que les soleils sont beaux, dans les chaudes soirées… » lui a dit Roland et il a ajouté gentiment : « Manuella, tu es belle comme une fleur ». En psychomotricité, doit-on aimer aussi les poètes, s’y référer ? Doit-on avoir lu « Les fleurs du mal ? »

Pendant le moment du bilan, à la fin de la séance Manuella nous a confié qu’elle aimait compter, qu’elle savait, que sa maman lui avait appris. Je lui ai demandé si elle savait lire.

– Non je ne sais pas. Maman ne m’a pas appris.
– Et les autres élèves de la classe savent ?
– Oui, ils savent !
– Et compter, ils savent ?
– Je ne sais pas, on fait que des petits trucs, deux plus deux, tout ça….

Son regard pétillant d’intelligence est un peu inquiet.

Nous la raccompagnons à sa maîtresse, Laura, en plaisantant sur le dessin de mon hélicoptère. (Laura, que j’aime bien, je ne sais pas trop pourquoi, mais il faut parfois se faire confiance!)

–  Nous avons joué à la marchande! Manuella compte très bien. On te racontera à la récréation ?

Nous avons été très vite d’accord tous les trois. Manuella s’imaginait que les autres savaient lire comme elle savait compter, que leur maman leur avait appris ! Je vais voir comment elle sait compter nous dit Laura..

À midi, à la cantine, cette maîtresse nous a confirmé, étonnée, embarrassée, que cette petite élève était au moins d’un niveau de CM1  en calcul, qu’elle connaissait le sens des opérations, arrivait à les résoudre sans les poser, rapidement. «  Je ne m’en serais pas aperçue de sitôt !  » Quel casse-tête ! Nous allions réfléchir chacune de notre côté à une solution.

La semaine suivante, Laura avait trouvé la solution. Il a fallu expliquer à cette petite fille que les autres enfants ne savaient pas lire en arrivant à l’école, qu’ils avaient appris il n’y avait pas longtemps. Qu’elle aussi allait apprendre. Que la maîtresse allait l’aider, tous les jours avant de rentrer en classe, après le repas de midi. Et que, elle, Manuella, allait un peu aider ses petits camarades pour le calcul en échange, puisqu’elle savait bien compter.

Manuella nous regardait, les yeux brillants.

– Et tu es contente de savoir que la maitresse va t’apprendre à lire ?
– Oui, maman sera contente si je sais lire, elle, elle ne sait pas.

Cette élève ne relevait d’aucune rééducation. En effet, rapidement la fillette a été au même niveau de lecture que sa classe. Bravo Laura !

Mais revenons à cette journée de supervision qui n’en est qu’à la moitié si vous avez bien suivi. Aviez-vous remarqué le garde champêtre depuis le matin ? Moi non. J’étais un peu déçue à l’idée qu’il ne voit pas quel individu j’avais fait entrer dans son territoire !

Après l’interclasse, Roland conduit sa voiture devant ma salle car il me prête un petit établi, quelques serre- joints, un marteau (à moi de récolter des planches) pour observer si des enfants se tournent vers ces objets et comment ils s’en servent. Il avait tout cela dans son coffre. Pour ma part, pendant qu’il déchargeait ce matériel, je suis allée chercher la classe entière de grande section maternelle, avec leur maitresse  amusée parce que je lui avais dit qu’un beau gars serait aujourd’hui avec nous. Lorsque nous sommes arrivées Roland nous attendait dans la salle. Nous avons fait tous ensemble, une joyeuse séance autour de l’utilisation variée de journaux. Quel entrain ! Quels rires ! Non seulement un journal donne des nouvelles mais il se transforme en couverture, en cape de Zorro, en trompette, avion, éventail, balle, ballon. Il accompagne mille jeux ! A nous les inventions !

Après un court repos les petits se préparent à partir avec leur maitresse. Ils me demandent quand ils reviendront. La maîtresse se confie devant la porte. « Le fait d’utiliser le jeu comme technique est très séduisant pour les enfants. Quand les maîtres ont à leur apprendre des notions exactes et les faire tenir tranquilles c’est moins motivant ! » Elle le dit avec quelque reproche dans la voix. Je la comprends…Avant la rééducation suivante, nous rangeons un peu la salle, Roland et moi, ramassons quelques papiers qui trainent encore. Il me dit qu’elle était très mignonne cette maîtresse ! Bien sûr qu’elle l’était ! Je n’allais pas lui choisir la plus revêche! Nous rions, moi assez soulagée que ma journée se passe bien, lui, je ne sais pas, sans doute aussi.

Soudain nous entendons un grand bruit de tronçonneuse tout proche.

– Non de dieu !

Roland sort précipitamment de la salle. J’ouvre la fenêtre. Le garde champêtre est en train de scier un gros arbre mort, tout près de sa voiture. Il y est allé fort ! Le fada !

– Hé ! Laissez-moi sortir la voiture, dit Roland qui a posé sa main sur le bras du garde champêtre, en lui faisant baisser sa tronçonneuse.
– Ah ! C’est à vous ? Vous avez peur ?
– Je préfère sortir ma voiture.
–   Dépêchez-vous !si vous avez si peur que ça.

Roland entre dans sa voiture et la fait reculer jusqu’à l’autre bout du bâtiment. Il revient en courant avant que l’arbre s’abatte sur le sol avec des craquements, sinistres.

– Cet abruti !
– C’est le fameux factotum.
–   Je m’en doute ! Je vais lui parler un peu. J’ai une bonne entrée en matière !

J’ai fermé la fenêtre et suis sortie en passant entre des branches, chercher deux autres élèves. Je ne veux pas me mêler à la conversation. Ils vont parler entre hommes. Je donne un peu de temps pour que Roland puisse se faire entendre. Lorsque nous sommes arrivés devant la porte les enfants et moi, mon maître de stage était en train d’aider le garde champêtre à retirer les derniers branchages pour dégager amplement le devant de porte, tranquillement. Entre eux, aucun signe de discussion houleuse.

–   Merci  pour le coup de main ! lui a dit le garde champêtre.
– De rien !

Roland est revenu dans la salle en riant sans rien ajouter. L’utilisation du rire est un outil en psychomotricité comme dans toute autre activité complexe. Il cache mille choses et donne du temps. J’ai fait feu de tout bois. Il fallait que le garde champêtre nous voie bien ensemble.

– Venez, dis-je aux enfants et à Roland, venez voir le vieil arbre qui vient d’être abattu.

Nous sommes ressortis tous les quatre et avons entouré notre bûcheron qui s’est arrêté de tirer sur les branches, même pas étonné de nous voir là. Je lui demande

– Il était vieux cet arbre ?

Il a vite joué le jeu, très fier, et s’est montré un bon conteur. Il nous a raconté comment était cet arbre quand il était un petit garçon élève de cette école. Et le nom de l’arbre, et les oiseaux qui y nichaient, et le nombre de stries du tronc correspondant à son âge, et les insectes qui y vivaient dessus, et ses longues racines….et la sciure…etc…etc… Après l’avoir remercié, félicité pour son talent, nous l’avons laissé continuer son débitage et sommes rentrés dans la salle dessiner des troncs d’arbres de cinquante ans, de soixante ans ! De cents ans !

– Nous, on n’a pas des stries dit Romain l’un des enfants de huit ans, on a des rides. Maman a dit qu’elle avait déjà des rides, j’ai peur qu’elle soit vieille, qu’elle meure. Moi j’ai pas des rides encore…Il tâte son visage un peu inquiet. Je vais pas mourir. Et toi, tu es vieille me demande-t-il ?
– Maman a dit à papa : crèves ! C’est pas elle qui décide pas vrai ? Ajoute Frédéric.
– Quand les grandes personnes se disputent elles disent n’importe quoi, ça crève le cœur !

Alors Roland s’est mis à chahuter avec eux, à rire, à courir dans la salle, à jouer à Tarzan avec les cordes à grimper. Mes tristounets, la vieillesse, la mort, n’y pensez pas encore ! Vivez ! Amusez-vous ! Bon, mon garde chiourme va avoir encore une très mauvaise opinion de notre corps de métier, je le sens !

J’ai demandé aux enfants qui nous entouraient, à la récréation, curieux de ce « nouveau maître », s’ils voulaient que Roland revienne un autre jour. Inutile de dire la réponse ! Enthousiastes ! Tous voulaient jouer avec lui, le retenaient en s’accrochant à lui. Son entrain, son sourire, son attention aux autres nous avaient revigorés. Encore une leçon pour moi ! Un psychomotricien dans une école ça doit donner du tonus et ouvrir les cœurs ! Pas toujours facile.

Sur le chemin du retour, dans la voiture, Roland m’a dit qu’il ne savait que penser du garde champêtre. En fait l’arbre en tombant n’aurait même pas frôlé sa voiture, ni gêné notre sortie. L’homme lui parait bourru, mais attentif sous sa casquette. Il lui a laissé entendre qu’il risquait de venir de temps en temps, qu’il supervisait mon travail,   qu’il était en plus un vieil ami du directeur. « Pour qu’il ne te sente pas seule ». Là je l’ai remercié.

– Tu as eu peur pour ta voiture ?
– Et comment ! J’ai failli lui arracher sa tronçonneuse et la balancer de l’autre côté de la place, et en plus le balancer avec. Il m’a fait front calmement et a montré l’endroit où j’avais ma voiture, le tronc d’arbre…Il savait ce qu’il faisait m’a-t-il expliqué. Je le crois. Il avait bien calculé où allait tomber son arbre, à dix centimètres près. Il m’a dit qu’il en avait coupé des centaines, qu’il avait appris à diriger exactement leur chute. Il riait sous cape le bandit ! Il a participé de bon cœur à l’interview, tu as bien fait de la provoquer. Il a été un bon conférencier ! Il ne faut pas le craindre, mais l’avoir à l’œil. Je reviendrai un jour ….

La semaine suivante, tout était propre autour du bâtiment. Plus de trace de branchages, de troncs d’arbres, de sciure.

Mais dans la salle, quelques temps après, on avait enlevé tous les radiateurs. Des fils pendaient entortillés de sparadrap. La lumière était coupée. Encore un bricolage du Maître des Lieux ! Mieux vaut que je m’écrase. Tant pis pour mon tourne disques ! Il me restait tout compte fait que peu de temps à supporter les initiatives de cet individu mal léché, mon stage d’un an arrivait à la fin. Inutile de faire monter mon taux d’adrénaline !

L’après-midi, j’entends le grincement de la porte du bâtiment et les pas cloutés du «  maître des lieux » dans le couloir. Je ne le laisse pas frapper ni surtout entrer.

J’ouvre la porte de ma salle. Il était derrière.

– J’arrange vos radiateurs. J’ai coupé l’électricité. Vous n’en avez pas besoin, il fait jour tard et de bonne heure !
– La semaine prochaine ça sera arrangé. C’était trop dangereux.

Je referme doucement la porte sans montrer mon mécontentement. Il la repousse et fait un pas vers moi.

– Alors, l’artiste, il ne revient pas ?
– Quel artiste ?
– Celui à la queue de cheval !

Il ricane un peu, il sent l’alcool.

Pour m’en débarrasser sans tapage je lui dis.

– À tout à l’heure, en le repoussant et refermant fermement la porte, je dois travailler.

Calmons-nous, respirons ! Prenons la juste distance, il faut savoir aussi le faire en psychomotricité, comme à la ville et la campagne, comme partout, la proximité agrandissant démesurément le sujet.

Je ne l’ai plus revu de la soirée.

C’était ça la bonne stratégie, car en psychomotricité… je ne sais plus. Je rentre chez moi à travers les collines verdoyantes, du Volvestre puis du Lauragais. Je connais la route dans ses moindres virages, ma voiture aussi. J’enclenche la cassette de Léo Ferré puis je chante à tue-tête avec lui.

« Y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent

La plupart Espagnols, allez savoir pourquoi… »

Ce Léo Ferré ! C’est mon psychomotricien à moi !

En fait je n’ai pas trop de vrais soucis, ni dans mon travail, ni à la maison avec nos enfants. Mon mari est très présent, et nous sommes bien secondés. Je suis disponible.  « Dans la salle, si tu as mal, m’a dit Roland, si tu as la tête ailleurs, tu ne fais pas du bon travail, tu dois le savoir. » Bien Monsieur, donnez-moi alors un kilo de disponibilité, bien fraîche s’il vous plait !

La semaine suivante je me demandais en me rendant à mon travail ce qu’allait encore imaginer   le pauvre fada. ! J’avais une inquiétude. Quelle intuition ! Le directeur et les collègues m’attendaient catastrophés.

– On a une mauvaise nouvelle à t’annoncer. Hier le garde champêtre a fait une crise dans la salle de rééducation… IL a tout jeté en l’air. On a essayé de tout récupérer, de ranger un peu. On ne pouvait plus fermer la porte de ta salle. Tu ne peux pas travailler avec les enfants tout de suite. Une balayeuse va venir t’aider à ranger.
– Il avait bu ?
– Certainement, il était dans la cour, on l’entendait gueuler : « Disgrazia ! Maloro ! »  Puis il s’est mis à se rouler par terre. Le maire l’a amené à l’hôpital.

Je ne demande pas d’autres informations. La balayeuse Mariette, arrivait avec ses balais et sa serpillière :

– On y va ! Pauvre de lui !

Nous voilà dans la salle dévastée … Je m’attendais à pire, à voir les murs salis, les ballons crevés à coups de couteau, les coussins éventrés. Il s’était attaqué surtout aux puzzles  le malheureux, et renversé les quelques meubles, vidé les boites de rangement. Je regarde la balayeuse. Elle me sourit. Pourquoi devons-nous passer du temps à réparer les conneries de ce pauvre type ! Dans ma tête je répète : «  tu as fait le con pauvre cinglé ». Mais je demande :

– Comment allons-nous faire ? Vous avez une idée Mariette ?

Nous décidons de la marche à suivre .D’abord mettre les chaises la table, les coffres en place, ranger les plus gros objets. Jeter du verre cassé dans un carton, les papiers déchirés dans un sac… Regrouper les morceaux de puzzles dans une grande poche en plastique. Puis balayer, passer la serpillière. Dans un coin il y avait du vomi ou quelque chose qui y ressemblait. Saleté !

– Vous le connaissez le garde champêtre ?
– Faustin ? Oh !  Que oui !
– Il en a souvent des crises ?
– Il ne s’arrange pas ! Il boit un peu trop ces derniers temps. Ce n’est un secret pour personne. Il a toujours eu mauvais caractère en plus, il veut avoir raison à tout prix. Sa femme le supporte tranquillement, je ne sais pas comment elle peut ! C’est des gens qui ont eu du malheur. Je les plains un peu. Dans les premiers temps de leur mariage, ils ont trouvé leur bébé mort dans le berceau un matin. Ils ont été accusés par la belle-mère, de ne pas avoir eu l’œil sur cet enfant, de le laisser toujours dans un coin… Ils n’ont pas pu en avoir d’autres! Dans le village, il y en a qui l’aident mais d’autres l’enfoncent tant qu’ils peuvent.
– Et puis il vous en veut d’occuper sa salle de classe. Dans cette vieille école il se croit chez lui !La vieille école ne lui appartient pas !
– Je comprends pourquoi il rôdait autour de la vieille école en me regardant d’un mauvais œil ! Mon installation dans cette salle a aggravé ses malheurs.
– Pensez-vous ! Il va mal, depuis longtemps ! En plus, mais c’est comme si je ne vous avais rien dit. Hé ? C’est ma voisine qui me l’a raconté. Quand il était jeune, avant de partir au service militaire, il avait couché avec la fille de la Françoise une qui tenait l’Auberge dans le temps. Elle a été enceinte. Il n’a pas voulu se marier avec, soit disant que c’était son père à lui qui s’y était opposé parce qu’elle était une pute disait-on. Elle s’est fait perdre l’enfant… Puis elle s’est mariée avec un gars de la ville, un postier. Ils ont eu trois garçons.. Ce sont de beaux jeunes maintenant. Après, il aurait regretté dit-on. Il en aurait été malade. On n’y peut rien ! Son père était une bonne excuse à mon avis. Il ne sait pas trop ce qu’il veut vous savez ! Avancer et rester sur place ! S’il s’était marié avec la Suzanne, il aurait des enfants ! Il n’en a pas eu avec sa femme. Le bon Dieu l’a puni !
– Et sa femme, comment est-elle ?
– Il ne la mérite pas ! Une sainte femme, courageuse, toujours avenante. Elle s’occupe de l’église. Elle fait aussi le catéchisme.
– Que c’est compliqué! Mais je n’y suis pour rien. J’ai essayé de l’écouter…personne ne m’a parlé vraiment de lui avant vous.
– À l’école, les instits viennent tous d’ailleurs ils ne connaissent pas nos histoires….C’est mieux, dans un sens, il y a plein d’embrouilles ici, et ce n’est pas la peine de savoir ce que chacun traine derrière lui !
– Nous trainons tous notre charrette vous savez !

Elle est d’accord.

Vers midi, malgré notre bavardage nous avions tout remis en place et nettoyé. Mariette était allée prendre une bombe de désodorisant à la lavande chez elle et en avait embrumé la salle ! J’aurais pu faire venir un exorciste aussi pour en chasser les démons mais je n’en connaissais encore aucun.

Cependant je sens que je vais quitter ce gros bourg sans connaitre totalement l’histoire du garde champêtre. Cela n’a aucune importance. En psychomotricité la curiosité mal placée est à éviter, mais l’indifférence est à proscrire, comme partout ailleurs.

Les beaux jours sont enfin installés. Plus besoin de radiateurs ni d’électricité. Mon magnétophone marche sur piles, impeccable.  Dorénavant c’est le directeur qui garde la clef du bâtiment où je travaille. Le garde champêtre en congé maladie pour quelques temps n’intervient plus dans l’école. . C’est presque un paradis ce groupe scolaire  sans lui !

Il revenait errer autour de l’école parait-il, et saluait de loin en soulevant sa casquette. Allait-il nourrir son chat ? Il leur faisait un peu pitié me confiaient-ils en soupirant, il était attristant. Pourquoi pas ? Mais justement en psychomotricité la pitié n’est pas un sentiment très utile de même qu’en navigation, haltérophilie, ou durant les vendanges. Qu’est-ce que je raconte là ? N’importe quoi ! Je suis fatiguée !

Comme je l’ai déjà dit, les autres groupes scolaires n’avaient aucun adulte qui m’ait causé le moindre souci  ni un enfant en particulier. Je répartissais mon temps le plus équitablement possible. Une directrice avait été particulièrement prudente envers mes compétences au début ! J’avais dû la rassurer, faire une activité avec sa classe entière pendant qu’elle observait. Puis cela a pu être la réciproque.. Enfin elle m’a demandé ce que je pensais de tel ou tel enfant. Et pour terminer par me demander si je croyais que je pourrais l’aider, en rééducation individuelle avec tel ou tel élève, pour enfin en parler à la psychologue. Cette démarche pouvait sembler un peu longue, mais par la suite mon travail en a été simplifié et efficace ! Parfois, les demandes d’aide vers un psychomotricien sont mal appropriées, ce n’était pas le cas avec cette enseignante. Moi, je n’aurais pas pu accepter sa démarche suspicieuse, m’a dit le médecin scolaire. Tu te laisses trop manipuler !

Mon mémoire était terminé. Je trouvais mon stage très intéressant. L’école où j’avais rencontré Faustin fonctionnait d’une manière exemplaire… Le directeur y avait installé beaucoup de calme, de liberté et de lien. Il savait déléguer. Son expérience des colonies de vacances lui avait certainement appris à animer un groupe dans la bonne humeur.

Il nous a invités, tous les enseignants, et son ami Roland, avec nos conjoints, les dames de la cantine et les balayeuses,   à pendre la crémaillère dans sa maison nouvellement construite au bourg, pas très loin de l’école, à l’occasion de l’Ascension, jour de la fête locale.

Nous nous retrouvions dans un autre cadre, c’était agréable. Le repas terminé, après un bon café,   les petites liqueurs, et le rangement du matériel, nous décidons d’aller faire un tour au bal, sur la place. On entendait l’orchestre depuis le jardin. Roland et moi marchons en tête du groupe bras dessus bras dessous, un peu hilares sans doute… Vers le bout de la rue nous croisons le garde champêtre en habits du dimanche, la casquette toujours vissée sur son crâne. Il tenait un long bâton à la main. Nous l’interpellons gaiement.

– Hé ! C’est vers le bal qu’il faut aller ! Venez-danser !
– ‘ Vai quèrre las vacas’ nous dit-il, sombre, préoccupé, haletant.

Il nous montre du doigt le fond de la rue et bifurque soudain à droite, dans une petite ruelle. Bizarre ! «Il va chercher les vaches ?  Il a des vaches ? » Gégé pense qu’il est un peu bourré. Quelqu’un trouve qu’il ne marchait pas droit en effet.

Plus loin, parmi un groupe d’enfants, n’y a-t-il pas Daniel en train de rire et gesticuler ? Il vient vers moi en courant.

– Vous êtes venue à la fête !

Puis repart aussitôt, un peu effarouché de son intrépidité.

– C’est ton petit renard, demande mon mari ?

***

C’était la fin de l’après-midi lorsqu’enfin les plus éloignés des invités ont regagné leurs voitures pour le départ. Roland et sa femme sont partis les premiers, à fond la caisse, dans la direction que nous allions prendre mon mari et moi, mais à notre vitesse.

D’autres voitures partaient dans la direction opposée, vers les montagnes.   Mon mari et moi avons pris la route à notre tour, tranquillement, en bavardant, heureux de cette belle journée amicale.

Après avoir roulé cinq minutes, nous arrivons à un croisement important. Quelques voitures arrêtées, un peu en désordre, semblent avoir eu un carambolage, mais personne n’est sur la route…Je reconnais la camionnette du garde champêtre, les portières ouvertes, au beau milieu du croisement. (Le rond-point magnifique qui y est installé actuellement n’existait pas encore) C’est inquiétant ! Un accident est arrivé. Nous nous garons sur le bas-côté, descendons et cherchons à savoir de plus près. Mon mari secouriste se prépare à intervenir. C’est pas vrai !!  Faustin armé d’une pelle menace des voitures arrivant des quatre points cardinaux. Il les immobilise. Il tourne sur lui-même comme une girouette. Sa grande silhouette est impressionnante. Il titube, il frappe sur l’asphalte, féroce, essayant d’atteindre un capot. Des automobilistes klaxonnent vivement, l’invectivent à travers les vitres baissées. Faustin recule, perd l’équilibre. Il est à quatre pattes au sol. Nous nous précipitons vers lui, mais il se relève brusquement, toujours menaçant avec sa pelle: «  arrière  la Maurelo, arrière la Noire ! » Nous informons rapidement un courageux qui s’approche de nous, de l’ébriété habituelle de l’individu. Il nous fait remarquer avec colère que sa voiture à lui, est contre le talus, renversée, que nous devons faire quelque chose ! Un autre conducteur sort de sa voiture. «  Calmez-vous ! Calmez-vous ! » Nous retournons à toute vitesse avertir les gendarmes et le maire du village. (Point de portable encore dans nos poches à ce moment-là.) Tout s’est passé assez rapidement, nous avons trouvé le maire à l’Auberge.

– Oh ! Quel con ! Avertissez la gendarmerie j’y vais directement s’est-il écrié en courant vers sa voiture.

Nous voilà suivant le fourgon des gendarmes alertés par nos soins, qui se rendaient sur le lieu du délit.  Arrivés à l’embouteillage, ceux-ci se sont précipités vers le croisement, menotté Faustin en plein délire. En attendant leur arrivée le maire l’avait maintenu à bras le corps. Nous l’avons entendu encore crier. « Tu te calmes Tino ! » « Tino tu te calmes ! »   Ils ont amené l’excité vers le fourgon à grand peine.

– Ces putains de vaches ! gueulait-il. ! Saloperie !

Il essayait de se défaire de l’emprise des gendarmes en leur donnant des coups de pieds. Puis il s’est calmé tout à coup. Les gendarmes l’ont fait monter dans leur fourgon. On allait l’amener à l’hôpital. Presque tous les conducteurs et leurs passagers, pas mal de femmes et des enfants qui revenaient d’une kermesse, étaient enfin sortis de leurs véhicules, évoquant leur frayeur et embarras devant les menaces de l’ivrogne, levant sa pelle, criant comme un fou.

Le maire attendait que les embouteillages s’écoulent. Deux gendarmes aidaient à dégager la voiture du talus. Il y avait eu quelques petits chocs. Des constats à l’amiable se faisaient. La camionnette du garde champêtre avait été garée au loin. La porte du fourgon de la gendarmerie restait ouverte. Je me suis approchée. Le garde champêtre était assis, à côté d’un gendarme.

– Vous, occupez-vous de vos oignons !me lance-t-il en se levant, menaçant.

Mais le gendarme l’a fait rasseoir brusquement… Faustin avait retrouvé ses esprits !

La circulation s’est rétablie. Le croisement s’est vidé. Mon mari et moi avons terminé notre route, perplexes.

En arrivant chez-nous j’ai téléphoné à Roland. Oui, ils avaient dépassé la camionnette du garde champêtre à la sortie du village, il l’avait reconnue… elle roulait au milieu de la route, ils avaient dû la doubler en passant sur le bas-côté.

– Il menaçait les voitures avec sa pelle en leur criant : « putains de vaches ! » Mais il est vraiment malade ! Avec une pelle ? Tu n’aurais rien pu faire de lui en rééducation ! ajoute-t-il en riant aux éclats !»

J’en suis d’accord ! C’était bien trop tard ! Et ce fameux Monsieur Loubet son ancien instit, qu’en pensait-il alors ? Qu’était arrivé à cet enfant dans cette foutue classe ? Mais peut-être la sale histoire avait commencé bien plus tard, et au temps de Monsieur Loubet ce n’était que du soleil, du miel, du bonheur ?

La semaine suivante nous avons évoqué cet incident longuement à l’école. Abus d’alcool ? Mariette nous a donné des informations sur le sort du garde champêtre.

– À l’hôpital, même s’il a été très abattu après sa crise, ils n’ont pas voulu le garder. Il doit prendre des médicaments. Pas question qu’il reste chez lui à rien faire a dit le maire. On ne peut plus lui confier les écoles non plus. Il va suivre Fernand le cantonnier et l’aider dans les travaux de voirie. Fernand le surveillera et il est costaud ! Sa femme va lui planquer les bouteilles aussi. Les gens de l’Auberge ont l’interdiction de lui servir des boissons alcoolisées.

Je revoyais en pensée ce pauvre garde champêtre affrontant les voitures avec sa pelle. Dans les séances de psychomotricité tu ne t’étonneras de rien cependant, car rien n’est étonnant, tout est explicable, prévisible…

La fin de l’année scolaire était toute proche. Elle se terminait gaiement dans le groupe scolaire Jules Ferry. Gégé et ses adjointes, avaient vraiment créé un havre de paix. Pour les derniers jours, je ne prenais plus que des groupes d’enfants dans la salle. Toute l’école y défilait avec les enseignants. Nous dansions des danses folkloriques. Certains jours Mariette se joignait à nous.

« J’ai vu le loup, le renard et la belette, j’ai vu le loup le renard danser !… »

– C’est sérieux, ça ? m’a demandé l’inspecteur de la circonscription qui est passé un matin.

Pour ces derniers jours, lorsque j’étais seule dans la salle de rééducation, je restais vigilante, à l’affut des bruits dans le couloir. Je n’ai pourtant jamais fermé la porte du bâtiment à clef comme me l’avait conseillé Roland. Quelque part, autour de cette salle, rôdait un petit garçon…Qu’aurait-il ressenti devant cette porte fermée ?

Les vacances sont arrivées, bien méritées ou pas. L’année de stage terminée, mon mémoire passé, il ne me restait plus qu’à m’en aller après avoir fait une bise à tous, et souhaité bonnes vacances aux élèves. L’année suivante je retrouvais un poste près de chez moi. Un jeune collègue allait me remplacer. Un homme ! «  Enfin je ne serai plus seul a dit Gégé, on va pouvoir se défendre ! » Et la rivalité, y pensait-il le malheureux ? …En psycho….Stop ! Stop ! Les vacances sont là.

– Tu devrais aller dire au revoir au garde champêtre m’a aussi dit le directeur en riant. L’autre jour il m’a demandé ce que tu faisais, si tu revenais l’année prochaine. Tu as la côte ! IL t’appelle la dame de la motricité ! C’est gentil non ? Presque la Dame de Haute Savoie ! Il est un peu amoureux de toi ma parole. Vas le voir. C’est un pauvre bougre…Il travaille devant la mairie justement.

Bien sûr que je vais aller lui dire au revoir à ce fou de Faustin, à ce petit garçon inconnu qui est devenu cet adulte ronchon et aviné. Je vais d’abord faire mes adieux de politesse au maire : il a été très aidant pour mon installation, et je dois lui montrer que j’ai apprécié. Il me reçoit dans son bureau, sous une Marianne souriante. Je lui donne du Monsieur le Maire, deux ou trois fois. Il rit.

– Pas tant de Monsieur le maire, ça m’intimide ! –  Le groupe scolaire vous a adoptée, ils vont vous regretter me dit-il gentiment. Même Faustin vous avait à la bonne, c’est dire !

Vais-je en savoir davantage au sujet de Faustin? Je tente un petit interrogatoire…

– J’ai été catastrophée de ce qui lui est arrivé. Pouvait-on le prévoir ? Est-ce qu’il a une histoire personnelle particulière douloureuse ?  Il a l’air très attaché à l’ancienne école ?

– Nous y avons été en classe au CM1 ensemble. Il a un an de plus que moi. Je suis allé en sixième et lui est resté au village.

– Il l’a eu son certificat d’études ?

– Je pense que oui… ! Je ne sais plus… En sortant de l’école il a aidé ses parents dans la métairie. Il a gardé de l’admiration pour notre ancien instituteur. Ah ! Je me souviens ! Monsieur Loubet ne voulait pas l’y présenter au certificat, c’est ça, puis, il a changé d’idée, et il l’a présenté. Il le faisait travailler tous les soirs. Faustin se disputait régulièrement avec son père pas commode du tout, un Italien un peu dur, une famille de bigots. Il a voulu s’en aller d’ici. Il a travaillé en usine, mais n’a pas supporté. Il est revenu au village, ouvrier dans l’entreprise de maçonnerie de mes parents qui l’appréciaient. Il était adroit et avait l’œil. Tout ce qu’il faisait était parfait. On pouvait lui faire confiance.

– Oui ?

– Un jour son père a eu un accident dans le bois des Lafont. Un arbre que Faustin était en train de scier lui est tombé dessus et l’a écrasé. Il en est mort sur le coup le pauvre homme. Faustin s’est mis à boire depuis ce jour-là, son caractère de cochon a empiré. Il a eu un accident de moto par la suite et s’est cassé une jambe. Il s’en est remis très lentement. Je lui ai fait avoir un emploie moins fatiguant à la mairie.

– Il a été culpabilisé sans doute…

–  Son père taillait des branches d’un premier arbre abattu tout à côté de lui. S’est-il trop avancé ?

– La fatalité vous pensez ?

Le maire, me regarde interrogateur, s’assombrit, se racle la gorge. Après avoir respiré un bon coup, il change de conversation, se confiant familièrement.

– Ah ! Ce que l’avenir réserve aux gens ! Tenez, j’aurais aimé, moi, faire de la musique, être musicien, me dit-il, mais mes profs et mes parents m’ont orienté vers un métier plus sûr ! Ingénieur des ponts et chaussées ! Je m’y suis fait. Je joue du saxo quand j’en ai le temps, et j’ai bataillé pour qu’il y ait une clique ici.

Il me parlait d’obéissance Monsieur le Maire. Je lui ai demandé s’il croyait que désobéir était plus difficile qu’obéir. Là il est entré dans l’étude de quelques cas précis. C’était certain, la désobéissance demandait parfois beaucoup de courage, notre conscience nous guidait non ? Comment garder cette conscience vigilante ?… Nous n’allions pas refaire le monde, je finis par lui dire que j’aimerais saluer le garde champêtre avant de partir.

– Cela me fait plaisir m’a-t-il dit. C’est un type bien. Il ne faut pas le juger à cause de quelques cuites. Il m’a sauvé la vie un jour, au risque de perdre la sienne, en faisant dévier un rouleau en pierre qui allait me passer dessus dans un chantier. C’était dressé en haut d’une petite pente, cette cochonnerie décorative.. Vous savez de ces grands rouleaux qu’un attelage de chevaux trainait sur les aires autrefois et qui servaient à dépiquer ? Un ouvrier maladroit l’avait fait basculer en reculant sa pelle mécanique.
– Comment s’y est-il pris Faustin ?
– Il s’est agrippé à l’axe en fer du rouleau en le poussant de côté et en criant de me sortir. Lui aussi pouvait être écrasé en partie ! J’étais en train de prendre des niveaux quelques mètres plus bas. Je n’avais rien vu venir. Je me dois de l’aider maintenant. Malheureusement le rouleau qui l’écrase, est invisible, je n’ai pas de prise sur lui… Vous l’avez près des halles avec Fernand.

Il ne m’a pas tout raconté Monsieur le Maire, mais quand même, un bon peu. … m’a laissé entendre qu’il s’était passé des choses… En sait-il davantage ? Jamais le garde champêtre ne se serait confié à moi. Seul Monsieur Loubet pouvait l’entendre. Voilà celui auprès duquel il venait se réfugier dans cette salle. Monsieur Loubet seul aurait pu le calmer, qui avait su l’encourager, l’aider à passer ce fichu certificat d’études. …Et moi, j’embrouillais son souvenir.

Je retrouve Faustin, près de la halle en effet, s’activant avec sa pelle à côté d’une brouette, pendant que Fernand le cantonnier fait des allers retours en camionnette pour décharger les gravats je ne sais où. J’arrive près de lui sans bruit.

– Je viens vous dire au revoir.

Il lève la tête vers moi pas du tout surpris, comme s’il m’attendait.

– Alors vous partez ?

Il s’arrête de pelleter et me regarde attentivement du fond de ses cavernes, après avoir rejeté sa casquette en arrière. Je ne peux pas lui dire que je viens lui faire mes adieux parce qu’il a demandé de mes nouvelles, ce ne serait pas tout à fait exact. Pourquoi je suis là? Ai-je des remords de lui avoir proposé de construire ce puzzle, d’avoir cherché ses faiblesses, d’avoir introduit un « artiste » dans son antre, d’avoir assisté à sa folie ? Parfois en psychomotricité on est là planté, ne sachant que faire, que penser.

– Je vais travailler plus près de chez moi à la rentrée scolaire.. Nous n’allons plus nous voir ! Vous vous êtes bien occupé de la salle où je travaillais !
– Vous savez apprécier les services, vous ne faites pas d’histoires !
– Avant que je parte, pouvez-vous me donner un conseil ?

Quel démon m’inspire ? Quelle curiosité ?

– Les conseils sont gratuits ! Allez-y !

Innocent ! Son regard curieux se rapproche de moi sous sa casquette. Faustin s’appuie sur sa pelle, à l’écoute. Occupe-toi de tes affaires ma vieille, ce n’est pas ton problème me suggère une petite voix. Mais je ne peux résister, cruellement je le pousse au bord du gouffre.

– Nous devons abattre un gros peuplier, derrière chez nous avec mon mari. Comment faut-il s’y prendre pour bien diriger sa chute ? Je ne voudrais pas abimer mon toit, ni le mur! Est-ce que je dois le tirer avec une longue corde ?

Je suis foudroyée, par une lueur assassine, puis cette violence se transforme en regard complice, étrange.

– Attention, votre peuplier, dans sa chute ne va pas suivre la corde, mais obéir à l’angle de coupe ! Avec le bon angle de coupe, vous dirigez l’arbre où vous voulez. Compris ? Allez, portez-vous bien !

Il a baissé la tête, craché dans ses mains et s’est remis à pelleter précipitamment en m’ignorant.

L’image floue d’un petit garçon venu du passé rôdait autour de nous. Il était bien trop tard pour aider Faustin, ce rebelle douteux qui n’avait pu qu’obéir. Je suis restée silencieuse, un instant, à regarder le garde champêtre charger sa brouette, puis je lui ai tourné le dos sans ajouter un mot. Tout avait été dit. Je ne pouvais rien faire d’autre pour lui.

Il était temps que je parte de là. Je n’en aurais jamais fini de compatir, avec la descente aux enfers qui attendait le pauvre homme… Tout à coup, ayant enfin accepté toute l’affection que j’avais pour lui, la clef de l’énigme m’est apparue, simple comme un bonjour.   Le garde champêtre malgré ses cinquante ans et plus n’avait pas grandi ! C’était un faux adulte  avec des réactions d’enfant râleur, têtu, sauvage, malheureux, rancunier, demandant de l’aide maladroitement.   Que lui avait-il manqué pour ne pas être devenu raisonnable tout à fait ? Qu’avait-il eu de si lourd  qui l’avait écrasé ?

Je suis retournée vers ma voiture rangée devant la très jolie petite église du bourg. Tous les jeudis j’avais entendu ses cloches, à midi. Un joli carillon. Je n’avais jamais poussé sa porte encore, avant de partir, je suis allée lui rendre visite…Toutes les églises m’offrent quelques pensées encourageantes, un brin de silence réparateur et me pardonnent mon agnosticisme.. ….Devant le chœur trois bouquets de roses parlent d’amour, de ferveur.   Près du chœur, j’avise une grande statue de madone, avec une robe rouge, un manteau blanc…Elle croise ses mains sur sa poitrine. ….Un visage, lisse juvénile penché vers moi… C’est sainte Eugénie. Sur un présentoir devant elle, un groupe de cierges allumés dans leurs bougeoirs murmure une prière…. Je m’approche…  Une petite lumière danse à leurs pieds. Une petite nappe en soie couleur paille, avec des perles brodées rouges et blanches recouvre le présentoir et brille de centaines de petites étoiles…J’en suis ébahie. C’est mon tissu disparu ! J’ai failli arracher la nappe, mais une chanson m’a retenue; « Belle qui tiens ma vie, captive dans tes yeux, qui m’as l’âme ravie, d’un sourire gracieux… » Sainte Eugénie m’a regardée en souriant, un peu gênée… Elle n’y était pour rien, pas vrai ?

Sortant de là, abasourdie, pouvais-je accuser Faustin d’un larcin ? Que s’était-il passé ? Etait-il pieux ? Etait-ce sa femme qui était venue en catimini fouiller dans les tissus ? Mariette ? Un enfant avait-il pu le dérober pour l’offrir à la patronne de l’église  fierté des paroissiens ? « Belle qui tiens ma vie…. » Un air léger de pavane m’a accompagnée tout le long du retour. Les retrouvailles avec la parure de princesse disparue, ne me livraient qu’une partie d’une énigme, mais j’avais eu une consolation. Il était toujours aimé ce bout de tissu emperlé. Il tenait compagnie, il écoutait des prières et des remerciements. Il avait changé de service. Depuis qu’une brodeuse pleine d’imagination s’était fait plaisir en le confectionnant, il se spécialisait dans les rêves et le réconfort. J’avais la certitude qu’en psychomotricité les moments brillants, heureux ne sont jamais perdus, ils poursuivent un chemin mystérieux et reparaissent aux moments décisifs.

N’empêche, il y avait eu vol. Dans certains pays on coupe la main aux voleurs. Un enfant avait-il commis cette imprudence ? Ce doute allait me suivre. Une énigme à moitié résolue reste une énigme insupportable, une obsession. Il me restait dix kilomètres pour arriver chez moi. J’ai ralenti. J’ai rebroussé chemin à vive allure. Il fallait que j’interroge Faustin. Arrivée sur la place, il raclait toujours le sol des halles. J’ai arrêté ma voiture à quelques pas de sa brouette. J’en suis descendue précipitamment. Il s’appuie sur sa pelle et semble étonné de me revoir.

– Qu’est-ce qui vous arrive ?

– Faustin, je suis passée à l’église avant de partir. Le petit tissu sur le présentoir devant sainte Eugénie vous savez, avec des petites perles, c’est vous qui l’avez pris ? Je reviens presque de chez moi pour vous poser cette question. Votre réponse est importante pour moi.

Il me regarde embarrassé. Il se gratte la nuque.

– Oui, dans la classe de Monsieur Loubet, dans votre caisse pleine d’habits. Je l’ai donné à ma femme qui en cherchait un pour son présentoir.

Allais-je l’accuser de vol ? Et qui vole un œuf vole un bœuf ? Lui faire honte ? Le faire pleurer ?

– Il y va très bien dans l’église. Il reflète la lumière des cierges. C’est très joli.
– Ah ? Je ne mets plus les pieds à l’église depuis longtemps. C’est tout ce que vous vouliez savoir ?
– Oui, c’est tout. Je m’étais demandée où il était passé ce bout de tissu. C’est un bout de robe de bal d’une riche dame d’Istanbul…Elle doit être bien vieille aujourd’hui. Elle avait fui un père trop sévère qui voulait la marier avec quelqu’un qu’elle n’aimait pas…enfin, c’est ce qu’on m’a dit…
– Ah oui ? Ah ? Par exemple ! D’Istanbul ?

Il n’en revient pas. Il enlève et remet sa casquette. Il se gratte le front. Il rit doucement. Il s’assied sur le bord de sa brouette.

Je lui fais un salut de la main, remonte dans ma voiture et démarre rapidement. Que pouvais-je pour cet impénitent ? Est-il croyant ? L’a-t-il été un jour ? Reviendra-t-il vers son église ? Y trouvera-t-il un apaisement ? Un angle de coupe est-il si précis qu’il ne rate jamais sa cible ? Me voici presque aux portes d’un crime parfait ! Je vais en rester à l’explication de Monsieur le maire, avec l’idée que la victime s’était rapprochée dangereusement du tronc. Maitriser un angle de coupe, quelle prétention ! J’ai repris la route. Et je n’ai plus pris de nouvelles de mon malheureux formateur.

En psychomotricité il ne fallait jamais désespérer, et au contraire, toujours imaginer la meilleure des fins.

 

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